Les philosophes (les médecins aussi) ont oublié les tempéraments d’Hippocrate. Rien que pour cette raison, penser comme Platon est impossible, on en est rendu à penser pour Platon, à penser à sa place, parce qu’on s’est obligés à l’amputer en même temps que toute la pensée antique. Même Pierre Hadot dont les idées et les livres magnifiques veulent nous rapprocher de la pensée vécue est passé à côté de ça tellement les styles sont invisibilisés. C’est un pur massacre. Ce n’est pas le bébé jeté avec l’eau du bain, comme par inadvertance, c’est le bébé jeté tout court, volontairement, méticuleusement, comme on jetterait un bébé « qui a l’air » malformé de naissance. C’est un avortement de la pensée qui a créé la pensée avortonne de notre époque.
Socrate, Platon et Aristote, pour ne citer « qu’eux », savaient tout naturellement leur propre type psychologique inné et savaient de même les types des gens qui les entouraient, ça faisait partie de leur culture, de leur manière d’être et de penser l’univers. Ils savaient que tout le monde ne réagit pas de la même manière, et ils savaient identifier en chaque personne sa catégorie, sa façon d’être au monde et ils en tenaient compte dans chaque rencontre entre personnes.
Faire de la psychologie des types innés c’est être révolutionnaire, c’est ignorer des choses si bien bricolées et étouffées, c’est aller fouiller les poubelles de la philosophie et de la science, et il y a largement de quoi faire. Pour l’individu, c’est une révélation lente, c’est une pratique (la fameuse praxis) qui éclaire les autres de normalité, de description neutre et non de prescription idéologique. Je n’ai rien contre la prescription, je sais juste qu’elle est impossible, faussaire, folle, etc., sans une bonne et véritable description antérieure. Or ce monde gomme certaines descriptions, les ignore volontairement et prescrit selon des critères détachés du réel : rentabilisme, domination, victoire du fort, éradication du faible, croissance infinie, rétribution par la corruption et autres sornettes « qui marchent » paraît-il, en tout cas qui font notre époque d’apprentis sorciers.
La praxis de la psychologie de l’inné, je l’ai appelée « l’exercice extraordinaire », c’est ce que c’est, rien à ajouter. C’est une petite Marocaine, une zonarde d’Agadir qui me l’a sortie celle-là. Une femme paria qui me valait des regards de haine en djellaba pour apprécier sa compagnie. Elle était fine et vive, solitaire, abimée et quand même joyeuse et illuminée de l’intérieur, elle savait sa vie sur le bout des doigts : femme de rien du tout en terre d’Islam, utile/utilisée la nuit, réprouvée le jour. Elle disait tout le temps « c’est l’exercice extraordinaire », je crois qu’elle vivait par ça, sa psychologie à elle, son ontologie : vivre quand même, vivre au-delà de soi malgré tout. J’ai repris son antienne à mon usage, c’est cohérent, même si ce n’était pas le même thème pour elle, c’était une façon grandiose d’exister, voilà le point commun, pratiquer les styles CC au quotidien, c’est un exercice extraordinaire. Regarder les autres avec ce point de vue neutre, nécessairement neutre, non les dévisager, mais les envisager, c’est juste magnifique.
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J’ai plus ou moins pris une décision, je vais adopter la désignation de « styles » pour les types psychologiques innés. Chaque penseur à sa désignation, il m’en faut une pour désigner cet objet qui a un bien trop grand nombre de termes. Les styles cognitifs sont une branche de la science de l’éducation qui noie plus ou moins le poisson, puisqu’une partie seulement traite exactement de nos types à partir de la neurologie. Je choisis d’ignorer les autres recherches sous le même nom, à moins qu’elles ne ramènent subrepticement sous masque nihiliste à notre objet, ce genre de chose est largement possible dans ce monde où le faussaire côtoie malgré tout le même réel que tout le monde, comme c’est le cas de la caractérologie de Klagès, qui semble se réapproprier le mot pour lui donner un sens tellement différent de la caractérologie lesenienne, semblant même s’échapper de toute innéité, qu’il l’annule. Mais pourtant, à la fin de son « Les principes de la caractérologie », il retombe discrètement sur l’ontologie quaternaire avec traits, compatible avec l’ensemble des styles. Il faut bien dire que ce n’est pas facile tous les jours de faire de la science furtive sur un objet interdit, quand en plus discréditer les autres fait se sentir plus grand.
Je ne comprends pas pourquoi les styles des sciences de l’éducation sont donnés pour seulement cognitifs, ils sont aussi comportementaux. En réalité leur science n’oublie jamais le comportement, c’est juste qu’il n’est pas inscrit en titre. Tant mieux pour moi, car ma propre science de la même chose est différente et doit être dissociée, je vais donc m’approprier cette liberté d’associer explicitement le comportement à mon propre titre. Donc pour mes textes, quand j’écrirai « styles » cela voudra dire « styles cognitifs et comportementaux » ou bien « styles CC ». Cela fait que j’ai une appellation originale sur laquelle déposer non pas rien que mon petit bout de la lorgnette comme le fait chaque appellation, mais tous les petits bouts de la lorgnette en plus du mien, qui lui, n’a du coup pas de nom. Ceci dit, je considère ma propre perception des styles, en tout cas pour mes textes, comme un référentiel de comparaison. J’ai mis au point une nomenclature sur le long cours en plusieurs décennies qui est extrêmement bien entrelacée avec l’ontologie formelle, puisque les deux ont grandi en moi simultanément. Cette nomenclature sera la nomenclature des styles CC, c’est possible puisque cette appellation n’existe pas avant moi.
Je mentionne quand même qu’en réalité il y a deux appellations bonnes candidates pour nommer cette science. Primo l’évidente, la reine, légitime d’entre toutes puisqu’elle est la mère antique, du moins de ma civilisation (n’oublions pas les Doshas ayurvédiques en Inde), c’est les tempéraments. C’est fondamentalement la même science dont je parle ici, le même réel et les mêmes outils ontologiques pour en rendre compte. Pourquoi les Hollandais et le Senne ensuite ont-ils fondé le nom de caractérologie pour continuer l’œuvre des tempéraments sans reprendre l’évidence du nom ? C’est clair. Furtivité n’était pas encore de mise, mais changement de sujet, oh que si. Les « Lumières » ont, à la lance, éteint les tempéraments qui avaient été au cœur de la médecine pendant quand même deux mille ans. Impossible de les réveiller sans faire bâiller d’ennui et de dégoût les pontes, il fallait du neuf. La caractérologie a été une Science, avec une majuscule, qui avait chaire et publiait aux PUF, jusque les années 1950–1960 où elle est disparue sous le tapis, sans faire de vague. Gaston Berger est le dernier Scientifique Caractérologue, après lui les gens ont œuvré dans l’ombre. Il est parti en laissant un trésor inaperçu : la cause finale des types psychologiques innés. Mon quatrième trait lui doit énormément.
En attendant, pour nommer « ma » science, je suis devant ce problème : réveiller la science antique des tempéraments ou bien réveiller la Science moderne des caractères ? Les deux me vont, les deux sont pertinents, mais voilà, les deux sont salis : j’habite une époque, je dois composer avec elle et du coup, comme des contemporains à moi se sont posé la question, comme ils ont des arguments vérifiables (neurologie), comme ils n’ont pas encore été identifiés et donc salis par la Science, alors je peux adopter leur réponse des styles. Ils ont bien fait, ce mot-là commence vierge en psychologie, il a juste ce qu’il faut de polysémique en psychologie pour noyer le poisson des coupeurs de têtes, c’est parfait.
Dans tous les cas demeure une appellation universelle, mon universel, qui n’est pas pratique et nominale, mais lourde et descriptive et que vous avez croisée déjà cent fois sous ma plume, c’est les types psychologiques innés. Jung s’est posé lui aussi la même question du nom. Pour des raisons personnelles non dénuées d’affects, il lui fallait absolument se distinguer des caractérologues et d’Hippocrate. Penser sans les maîtres est une chose qu’à su faire Jung dans les nombreuses disciplines qu’il a approchées, c’est l’un de ses traits de génie, mais penser contre les maîtres, c’est une erreur qu’il n’a pas évitée dans le domaine des types psychologiques. En attendant, sa désignation est excellente, c’est pour cela que je me la suis appropriée comme référent initial, en y ajoutant évidemment mon axiome de départ, dont nous allons voir bientôt l’immense utilité, qu’est l’innéité. La raison pour laquelle je n’ai pas décidé d’adopter comme emblème les « types psychologiques innés », mais les styles, c’est d’abord que le mot « type » est bien trop polysémique, c’est un incomparable fourre-tout, dont on se sert en écrivant des textes un peu techniques aussi facilement qu’on sale un plat, et donc on est obligé de mettre aussitôt psychologique et comme il peut y avoir des types psychologiques acquis, il faut mettre aussitôt innés. C’est trop long, c’est redéfinir à chaque fois l’objet disciplinaire. Même s’il est lui aussi polysémique, « style » est un mot plus rare, voilà sa qualité. Les « styles cognitifs » sont la troisième itération historique de la science des types psychologiques innés, merci les sciences de l’éducation, je m’y réfère et puis c’est tout. Enfin pour le moment… En fait rien ne m’indique que je ne vais pas changer d’avis un jour devant une belle « offre finale », une quatrième qui chapeaute le tout, disons que je pense depuis si longtemps à mettre « style » en emblème, que ça doit être bon. On verra bien.
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Les styles CC ont quatre traits que je nomme de manière générique, comme en ontologie, selon les quatre lettres grecques : alpha, bêta, gamma et delta. Le trait est une caractéristique ontologique, c’est-à-dire une catégorie dyadique du type [yin/yang] parfaitement usuel pour nous. Chaque personne dispose à la naissance d’une « position de repos » d’un côté ou de l’autre de la dyade. La position de repos indique bien ce qu’elle veut dire : si vous êtes [yin] en alpha, cela ne veut pas dire que vous êtes incapable de connaître ou de vous comporter selon le [yang] alpha. Vous savoir [rationnel] en alpha ne veut pas dire que vous êtes incapables de connaître ou de vous comporter en [irrationnel], par exemple en revenant du boulot de dire « je t’aime » à votre conjoint, votre maman ou à vos gosses. C’est souvent la première confusion que font les gens, parce que nous sommes habitués à raisonner de façon binaire. Nous sommes capables des deux postures du trait, mais il y en a une où nous revenons par défaut et c’est cette dernière que les styles CC déterminent avec des mots qui désignent une tendance et non une propriété monolithique. Je rappelle que ces catégories en tant qu’elles sont ontologiques ne sont pas des catégories rationnelles, elles forment un tout. Un être théorique qui serait exclusivement [rationnel] en alpha n’existe pas, ou bien n’est pas viable, pas envisageable.
Quand on en vient à leur détermination, pas mal de gens objectent « je suis les deux ». Ce n’est pas vrai, ce n’est pas faux, c’est hors de propos. Être ceci ou cela en style CC veut dire « je suis né ceci ou cela comme position de repos », rien d’autre. On ne peut pas avoir les deux positions de repos selon un trait, on ne peut pas ne pas en avoir non plus. Ne me demandez pas pourquoi, c’est axiomatique depuis l’origine, je l’ai vérifié dans tous les cas et je n’ai jamais vu d’auteur contredire ce modèle. Il y a un quand même champ de réflexion qui demeure ouvert ici, qui est au-delà de ma propre expérience et de celle des auteurs que j’ai pu lire. La détermination du style a donc ici toute l’apparence de la binarité : on est [yin] ou [yang] au repos selon le trait. Mais quand on pense à l’ontologie du sexe, il y a un trouble qui apparaît, d’où l’ouverture du champ de réflexion. Quand on étudie le sexe, on se rend compte que la binarité des cartes d’identité ne coule pas de source. Un certain féminisme parle de cinq sexes, une autre approche montre une continuité physiologique entre l’implantation des sexes féminin et masculin, où par exemple un clitoris démesuré ressemble à une verge, en un seul mot l’hermaphrodisme fait partie de la détermination du sexe. En s’éclairant de ce fait physiologico-ontologique, on peut se poser la question d’un hermaphrodisme limite du style qui viendrait contredire l’axiome. Ce n’est qu’une parenthèse dans mon discours, mais il faut que ce soit clair, je ne prends pas position, je fais un choix. Je n’ai pas de réponse à la question de l’existence d’une neutralité dans un style et je considère par défaut que la réponse est binaire, puisque je n’ai jamais rencontré de contradiction à cette règle. Cette question est bien plus difficile à réfléchir que la physiologie du sexe, pour la bonne et simple raison de ce qui va suivre, qui vient expliquer les sensations des gens quand ils pensent « être les deux ».
Les styles ne parlent que de l’inné. Je le redis tout le temps, mais c’est un exercice extrêmement difficile pour des personnes habituées à ne pas avoir de psychologie innée. La monade est matériellement insécable, mais elle est intellectuellement discernable : on peut étudier séparément le yin ou le yang de tout ce que l’on veut. Ici notre yin est l’inné, cela veut dire que tout le temps qu’on parle des styles on ne parle pas d’acquis.
Mais cela ne veut pas dire qu’un être n’est définissable que par son inné. Rappelons-nous bien que c’est bel et bien ce qu’affirment des cohortes de combattants de l’inutile depuis que le débat inné/acquis fait rage : ils ne veulent pas simplement étudier séparément l’un des deux pôles, ils prétendent que l’être n’existe que selon un seul pôle, en général l’acquis selon l’accord tacite de l’idéalisme platonicien. Discerner ce que l’on peut discerner de ce que l’on ne peut pas, c’est l’élémentaire.
Ceci pour dire ce qui est constamment à l’esprit des styles CC : la personne est un mélange intime et intriqué des deux, l’inné plus l’acquis. L’acquis n’est pas notre problème, mais nous en tenons compte quand nécessaire. Vous pouvez vous sentir ou même vous croire [rationnel] en étant dans les faits du style [irrationnel] ; tout dépend de votre éducation, de vos décisions, de votre conjoint, etc. Mais moi, quand je vous envisagerai, je ne me laisserai pas prendre au piège et je vous dirai soit comment et pourquoi vous êtes comme ça, soit je vous dirai là où ça cloche et quelles sont vos possibilités : un rationnel qui se prend pour un irrationnel ou bien le contraire ? C’est une possibilité du style qui fait un aspect de la richesse des gens : l’inné est à jamais pour vous et l’acquis vous tombe dessus vous offrant ou non le libre arbitre d’être ce que vous voulez ou devez par mimétisme : contraire à vous-même, c’est la richesse et la difficulté que vous recherchez en tout cas que vous rencontrez ; semblable à vous-même, l’augmentation et la puissance sont votre chemin. J’appelle ça la contrariété ; ici je montre son extrême, quand une personne va imperturbablement vers son contraire, mais rappelons-nous bien que la contrariété de son propre trait demeure une présence constante, même si l’on est bien dans son style. Regardez un [irrationnel] assumé, non contrarié, de faire ses comptes : c’est pénible, mais il n’a pas le choix, il le fait et se transforme pour un moment en [rationnel].
Je tente de vous montrer la complexité des traits séparément, mais rappelez-vous que les traits sont au nombre de quatre. Ils sont tous distincts et indépendants. Le premier trait ne peut pas être confondu avec le second ou le troisième ; ils ont chacun un support sémantique net et cohérent avec toute l’ontologie formelle qui les rend discernables sans équivoque. Il n’y a pas de différence entre la notion de trait du style CC et traits de l’ontologie formelle. Là où les mots n’existent pas, on en met quand même, et tous ces mots visent la même cible, c’est de la science.
Les traits se cumulent pour former une catégorie parmi un nombre fini. Les catégories sont la résultante des traits. Un trait c’est deux catégories, deux traits c’est quatre catégories. Donc avec quatre traits nous avons seize catégories, seize styles CC. Quand vous avez déterminé que vous êtes [irrationnel] et que vous êtes [intellectuel], vous avez déterminé que vous êtes de la catégorie qui se situe au croisement de ces deux déterminations.
Pour faire ma propre description des traits, j’ai mis au point deux séries de diades : l’une est celle des emblèmes, l’autre est celle des déterminations. L’emblème est central, c’est le repère principal qui est supposé parler clairement aux gens. Nous verrons que j’ai fait des choix opportunistes de nomenclature liés à mon époque, je pense propédeutique et pas uniquement technique. Ces quatre diades emblèmes sont de nature ontologique et forment tout le « moteur » des styles CC. Les déterminations par contre sont bien plus terre à terre, elles servent à discerner rapidement et avec une bonne assurance son propre style dans le trait considéré. Dans les quatre descriptions qui suivent, je commence par mettre le rang du trait, l’emblème et la détermination.
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Alpha : [irrationnel/rationnel] [tenue][négligé/strict]
Le trait alpha du style CC est ma révélation initiatique. Quand j’étais en thérapie dans les années 1995, j’ai vécu cet instant prodigieux : j’allais me lever pour partir de ce qui allait devenir mon avant-dernière séance, et là je reste figé sur une phrase qui sort de moi, limpide, évidente : « mais, je suis Anima… ». Avant cela, j’avais réveillé pour moi le couple latin ([anima/animus]) grâce à Jung, je l’avais fait miroiter sur divers plans et soudain, il désignait d’une manière qui allait s’avérer inaltérable ce que j’appelle aujourd’hui les styles CC. Cet instant a changé ma vie complètement, elle avait désormais une direction d’une incroyable dimension et qui me fascinait à un point que je n’avais jamais imaginé. Je ne savais pas ce que je faisais, une certaine quête ontologique régionale qui me guiderait à l’ontologie générale, à l’ontologie de l’ontologie, mais j’étais en route, alors que la minute d’avant je cherchais encore à naitre. Quand je suis retourné à la séance d’après, j’ai dit « c’est bon, j’ai fini ma thérapie, ça fait maintenant deux ans, c’est la bonne distance et j’ai de quoi faire, maintenant ». J’étais tremblant, excité, je n’ai pas su m’asseoir, j’étais déjà autre part. Il m’a dit d’un air bizarre « tu es sûr ? » ! « Oui ! Tout va bien, je suis là, je me vois être » ! Oh ! ça n’a pas été aussi simple, j’y suis retourné plus tard pour m’y retrouver, mais ça n’a plus jamais repris comme avant, c’était vraiment une page qui s’était tournée.
Par la suite j’ai littéralement « inventé » cette science du style, qui allait m’entrainer vers ma pente naturelle en tant qu’irrationnel + intellectuel, celle de l’ontologie. Bien sûr par la suite j’ai compris que j’étais tombé sur une filière oubliée et que peut-être je ne l’avais pas autant inventé que ça, peut-être que simplement je ne me rappelais pas bien de mes influences, c’est sans importance tant que je ne cherche pas à m’attribuer ces choses. Le trésor des traits indique que la compréhension, le moment où savoir émerge de la création, transcende cette union, par le retour, en un nouveau sens comme chose sensible. Ainsi, quand on apprend quelque chose, on peut oublier comment on l’a appris puisque c’est devenu un sens nouveau qui en tant que tel se mobilise intuitivement, c’est-à-dire sans qu’on le veuille, comme une évidence, un réflexe venant de notre centre mystérieux que d’aucuns appellent le divin. Évidemment, il faut vivre la boucle pour que ça marche, lire un savoir dans un bon livre ne suffit pas à en faire un sens pour soi, d’où l’avantage d’avoir à se battre avec le texte pour lire des choses importantes.
Je ne sais même plus comment j’ai commencé à parler de ce trait en termes de rationalité. Le mot est incontournable dès qu’on se penche sur la Science. Ça coulait de source, je n’avais pas idée du trait ni qu’il y en eut d’autres : le style était uniquement ce trait pour moi. J’ai quand même fini par percevoir qu’il y avait autre chose. Assez vite et tant que je n’ai pas rencontré la problématique dans un livre (Jung), ma nomenclature était devenue triple : les anima, les animus et les « bi ». Ces derniers vous l’aurez compris étaient pour moi composés des deux. Je crois que je ne voyais que les alphas intellectuels et que je mettais les physiques en « bi » ou quelque chose comme ça. Après la lecture de « Les Types psychologiques », j’ai adopté deux traits.
Une question s’est posée de façon récurrente et la réponse est demeurée, jusqu’à ce jour, identique. La dyade est de type opposition, c’est-à-dire qu’un pôle est désigné par la négation de l’autre : irrationnel et la négation de rationnel, le même mot sert aux deux définitions. Quand j’ai rencontré les caractérologues, j’ai vu que la signature de ce trait était sémantiquement identique, mais que ses contenus idéologiques étaient inversés. Le trait alpha hollandais est [sensible/insensible], il ressemble à la réponse du berger à la bergère face à une Rationalité envahissante. D’un côté le [yin] alpha est déprécié, de l’autre il est positivé, et réciproquement. C’était un constat déjà assez joyeux pour moi, qui éclairait bien l’a priori caractérologique et me donnait l’impression d’avoir rencontré des collègues. Mais bon, nous faisons de l’ontologie et nous visons donc la neutralité ; régler ses comptes à travers des comptes rendus scientifiques, ce n’est pas neutre et ne pas être neutre dans une matière aussi difficile à mettre au jour, ce n’est pas productif du tout.
Voilà, taxer quelqu’un d’insensible est péjoratif, moraliste, donc ce n’est pas correct. J’ai évidemment pensé à faire une dyade avec les deux dyades, en prenant ce qui n’est pas l’inversion, ce qui donne le satisfaisant [sensible/rationnel], que je vous conseille d’adopter pour votre usage, mais que je n’adopte pas moi-même dans mes comptes rendus, pour la raison propédeutique que j’ai dite ultérieurement : je vis dans un monde cinglé, je vais m’adresser à des gens vivant dans ce monde-là et je dois leur enseigner quelque chose sur la non-neutralité des termes de la première distinction universelle ontologique qu’est [sentir/calculer].
Quand je dis « Êtes-vous rationnel ou bien irrationnel », je dis implicitement, et si ce n’est pas clair je précise que les deux sont normaux. La portée psychologique du fait que l’irrationalité soit présentée comme normale est bien plus grande que ne l’est l’inconvénient de ne pas utiliser une dyade complémentaire dans ce contexte. C’est une erreur volontaire qui veut faire grincer des dents, non pas comme les caractérologues qui déprécient par leur « insensibilité » ceux qui déprécient les autres de manière systémique, mais qui apprécie ceux qui ne sont pas « comme il faut » selon l’air du temps. La posture pourrait sembler réciproque et identique à celle des caractérologues, mais elle en réalité est drastiquement différente, car elle est constructive, ontologique, conforme à l’ordre des choses : je ne suis pas contre quelque chose, je suis pour son contraire. N’oubliez jamais cette maxime, être pour le contraire de quelque chose demande de la réflexion, mais c’est bien plus efficace devant l’excès : on ne le combat pas de face, on le dégonfle.
Comment se reconnaître selon ce trait ? C’est là que la deuxième dyade entre en scène. On parle de la tenue dans divers sens du terme. Quand j’interroge les gens, je me limite toujours au vestimentaire d’abord et à l’habitation ensuite. La difficulté, je l’ai déjà sous entendue, c’est de mélanger l’inné et l’acquis : vous êtes bien rationnel de naissance, mais vos parents vous ont élevé comme un irrationnel. À moins que ce ne soit le contraire. D’après mon expérience il y a une personne sur deux (ce n’est pas statistique, c’est l’un ou l’autre) pour qui c’est très clair tout de suite : je leur dis le couple de mots et ils rigolent, ils savent sans équivoque, ils sont « croqués » par elle et d’ailleurs, je l’ai su tout de suite moi-même en les envisageant. Si vous me rencontrez, même sur certaines photos, vous saurez instantanément que je suis irrationnel parce que je me vous de mes habits, qui peuvent être troués, décousus ou tâchés, ou encore de mes cheveux qui sont le plus souvent en bataille. Je n’ai pas été contrarié par mes parents sur l’alpha, du moins sur les aspects de la tenue de mon habitation et de mes vêtements. Quand on a de l’expérience, il y a d’autres choses qui sautent aux yeux, c’est un ensemble de ces critères sensibles qui assoient la signature du trait d’une personne, le mieux, c’est quand elle comprend et qu’elle le dit elle-même.
Quand la personne on est une contrariée ou bien qu’elle n’a pas trop réfléchi au problème, alors je raconte des petites mises en scène et je demande ce qu’ils font dans ce cas. La première de ces petites mises en scène, la plus ancienne n’est pas la meilleure : « tu es au restaurant, tu fais une tâche sur ton pantalon, ta robe. Que fais-tu : tu changes l’habit dès que possible, quitte à retourner chez toi rien que pour ça, ou bien tu oublies l’affaire et tu remets la même chose le lendemain, de toute façon c’est du gras, ça s’étale on n’y verra plus rien demain ? ». J’ai utilisé ça un temps, mais j’ai trouvé mieux. « tu rentres chez toi après le taf, tu retires tes chaussures, que fais-tu : tu mets tes chaussures à la place des chaussures, ou bien tu laisses tomber une chaussure là où tu l’enlèves et l’autre de même et tu passes à autre chose ; quand le lendemain matin tu voudras remettre tes chaussures, elles seront là où elles sont tombées, à moins que tu ne les aies balayées du pied parce qu’elles te gênaient à un moment donné ? ».
La condition sine qua none de ce questionnement, c’est que les gens parviennent à s’imaginer une scène où ils sont absolument seuls et chez eux seuls. Ce n’est pas toujours possible, du moins sans remonter peut-être à l’enfance, pour des gens qui ont toujours habité avec d’autres, quittant sa famille pour créer une famille. Si un irrationnel contrarié a choisi un conjoint qui le contrarie de la même façon, il peut manquer de repère inné. J’ai l’œil pour ce genre de choses, il y a des petits signes, à peine des indices qui ne trompent pas.
Je suis avec un ami en terrasse sur la Grand-Place, c’est le matin. Un couple flamboyant vient s’asseoir à quelque table de nous, ils sont jeunes, joyeux, intelligents, amoureux ; ça se titille, c’est passionné, c’est festif : ils sont beaux et de bon matin, c’est rare, je ne gâche pas mon plaisir. Je regarde elle, c’est mon contraire [rationnelle + physique], c’est mon type, du coup elle me plait, c’est comme ça que je suis sûr : le désir est un bon repère pour le style CC. C’est là que ça devient intéressant, je le regarde lui : super coupe de cheveux, bien coiffés, beau costume, impeccable, bonne tenue : il a tout du rationnel, mais je ne suis pas convaincu. Déjà, ils sont trop amoureux pour être semblables. Je le regarde bien du coin de l’œil, sans non plus faire mon voyeur, mais ça cloche, je pense qu’il est comme moi de style, forcément. Et à un moment ça se confirme. Je vois qu’un ourlet de son pantalon est décousu, il pendouille lamentablement. C’est là que c’est drôle. Il me voit le voir, alors qu’on n’avait pas échangé un seul regard jusque-là, il est gêné et se penche vers le bug qu’il replace subrepticement sans qu’elle l’aperçoive. Un vrai [rationnel + physique] n’aurait pas fait ça, ça l’aurait énervé. C’est elle qui l’habille, c’est elle qui l’envoie se faire coiffer, il est sa poupée (pour les vêtements, le reste c’est leur histoire), elle le déguise et il adore ça, parce que du coup il est, contre son naturel, dans les critères du mondain et de l’élégance où ils adorent évoluer comme à bord d’un lumineux vaisseau fait d’eux deux, peut-être le temps d’une danse. Peut-être que demain elle le jettera, pas parce qu’il a cet ourlet décousu, mais parce que c’est tout le temps ; peut-être qu’il en aura marre de se faire rabrouer ou encore qu’il la trouve futile parce qu’elle n’a pas son intellect ? C’est autre chose.
La contrariété acquise du trait n’est ni un handicap ni une qualité, c’est un fait du vivant. Pour un trait donné, la contrariété peut être à différents niveaux, et peut se percevoir différemment selon différentes personnes, elle fait partie du sel de la vie et de sa variété infinie. Une fois j’ai rencontré un gars accoudé au bar dans un bistrot, je ne l’avais jamais rencontré. Je l’ai d’abord envisagé et puis je lui adressé la parole directement : je lui ai « tu as une nana vraiment super ». C’était là encore un irrationnel, et là aussi habillé et présenté avec beaucoup de soin et il prenait cela avec beaucoup de sérieux. Ça m’a dit la même chose, elle l’habille, mais en plus elle le laisse aller seul au bistrot, elle est son contraire et elle n’est pas maladivement jalouse, c’est une super nana. Du coup on a discuté et il m’a parlé d’elle évidemment, j’avais raison, super nana pour un super gars. J’étais techniquement jaloux, je n’en vivais pas l’affect, mais le manque. C’est difficile d’aller vers son contraire, des fois ça se transforme une guerre totale entre grands amoureux, très difficile.
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Bêta [physique/intellectuel] [rapport à la douleur][dur/douillet]
Je vais être de moins en moins disert sur les traits qui suivent. D’abord, j’ai continué à donner beaucoup de généralités tout en parlant de l’alpha et ensuite les traits sont apparus à la suite l’un de l’autre, et même très récemment pour le quatrième, ce qui fait que j’y ai forcément moins réfléchi parce que je les ai moins vécus.
Le bêta est quand même assez ancien pour moi, mais il s’est déposé beaucoup plus lentement pour former les deux dyades. Je ne sais plus exactement comment j’ai abouti à [physique/intellectuel], mais je revois le jour et le lieu où j’ai dit « c’est bon », et je n’ai plus changé depuis. Il y a dans cette signature une volonté propédeutique équivalente à l’alpha, avec un mécanisme identique de majoration plutôt que de péjoration, sauf que là je n’ai pas besoin d’y mettre mon grain de sel en forçant la dyade. C’est implicite, mais je le confirme quand même un tant soit peu en parole. Quand je dis à quelqu’un pour la première fois qu’il est [physique], je sais qu’il y a une bonne chance pour qu’il tique, et un physique qui tique, ça peut envoyer des pains. Donc je crache ma Valda et je me tais, je regarde attentivement sa pensée se former : « Houla ! Il me dit un truc que je pourrais bien prendre pour une insulte, mais il là n’est pas insultant du tout, il est là à me regarder d’un air neutre, il est vraiment sérieux et il est bienveillant ; du coup je suis en train de me rendre compte que si je ne prends pas le mot pour péjoratif, mais normal, ça pourrait bien expliquer ma façon d’être, et aussi cette espèce de malaise que je ressens à être simplement moi-même depuis la petite école ». À l’opposé quand je dis à un [intellectuel] qui l’est, souvent c’est les yeux qui se baissent, ils ne se sentent pas le mérite de l’être. En fait, le mot semble flatteur parce qu’on le confond à tort avec « être cultivé » et certains ne semblent pas « y avoir droit ». Or on peut être [physique] et être extrêmement cultivé et bien sûr on peut être un [intellectuel] inculte. Ma posture est à peu près la même, j’attends que le chemin se fasse, bien qu’il soit différent puisque l’intellectualité se dégonfle un peu dans l’esprit des gens alors que la physicalité y retrouve une meilleure place.
Dans tous les cas je parle un peu en clarifiant les malentendus et la propédeutique se fait toute seule pour une simple raison, c’est que les dyades sont ontologiquement fondées et que l’ontologie étant ce qu’elle est, une description du réel, chacun a les moyens de s’y retrouver puisque le réel est le même pour tout le monde.
Il est à noter que chacun pense d’abord son pôle et pas l’autre, c’est tout naturel. Tout l’attrait de la typologie des styles CC tient dans le second temps, c’est là que l’exercice devient extraordinaire, c’est quand, après avoir compris par exemple « je suis intellectuel, c’est quoi être intellectuel ? », on se dit « mais c’est quoi être physique ? » : du coup on se met à chercher là où on trouve du physique, c’est-à-dire le plus logiquement possible, chez les gens autour de soi. Se connaître soi-même, certes, mais pas sans connaître ce qui est semblable et autre chez les autres. La pratique qu’implique cette notion d’exercice commence par un regard autour de soi, cette pratique est ontologique, elle fait faire de l’ontologie formelle la plus pure, la mieux dessinée, à partir d’une réalité omniprésente et finalement très lisible quand on connaît l’outil.
Si ma dyade emblème [physique/intellectuel] a pas loin de vingt ans d’âge, je n’ai trouvé la dyade de détermination pour le trait bêta qu’assez récemment, c’est-à-dire il y a moins de cinq ans. Autant dire que ç’avait été une très grande joie et un vrai accomplissement. Avant cela je n’avais qu’une chose pas trop mal tirée du fonds ontologique juif à propos du regard : [regard][en flèche/en coupe]. C’est une dyade vraiment d’une grande justesse, mais qui ne parle pas universellement. Il y a un élément culturel trop important, je veux dire que ça marche mieux pour les intellectuels, qui peuvent facilement gérer l’abstraction inhérente à ces deux mots, et qui de plus ont déjà rencontré cette expression qui doit encore se faire sens une fois appropriée. Ce n’est pas universel et je devais expliquer la métaphore sans avoir de vraie solution limpide. Je me souviens d’un moment assez bête de cette histoire, c’est que j’ai un jour trouvé une dyade de remplacement plus satisfaisante, mais voilà, je l’ai oubliée, perdue.
C’est un jour où je suis allé voir un ami à l’hôpital, un physique irrationnel de la plus belle eau. Il avait reçu des coups assez violents qui m’auraient bouleversé, chamboulé et il prenait ça comme des égratignures. Une personne avec moi lui a dit, impressionnée, « tu es un dur ». Et voilà. J’ai dû chercher le contraire, ça n’a pas pris longtemps et maintenant, j’ai [rapport à la douleur][dur/douillet] qui marche du feu de Dieu depuis, sans que j’aie grand-chose à expliquer. Oh ! je connais par exemple des intellectuels qui ont dérouillé dans leur enfance et qui sont devenus très durs à la douleur, mais quand je leur dis ce que vous avez compris ici, ils acquiescent en silence : oui ils sont douillets, oui ils ont été durcis par les circonstances.
J’ai vu ma sœur descendre de sa voiture avec son gros chat super nerveux qui lui a « glissé des mains » comme peut le faire un chat effrayé, c’est-à-dire de toutes ses griffes. Elle a eu les bras lacérés d’entailles généreuses et très profondes et elle n’a pas eu une émotion sur le visage autre que le la tristesse pour son pauvre chat. Elle a récupéré le bestiau, elle est allée se soigner et on n’a plus jamais reparlé de l’histoire. J’étais scotché, oui, c’est une [physique]. Moi, pauvre de moi ! J’aurais hurlé et on en aurait parlé pendant tout le séjour et encore des années après. Oui, je suis [intellectuel] et non, je ne fuis pas spécialement la douleur.
Je n’ai pas été suffisamment clair concernant ma propre genèse du trait bêta. Les caractérologues m’ont donné leur piste avant que je n’établisse ma forme. Chez eux il s’agit d’une caractéristique que je trouvais alors un poil ésotérique, mais qui désigne clairement son objet de manière rigoureuse : [retentissement][primaire/secondaire]. Le physique est primaire, oui ça colle, l’intellectuel est secondaire, parfait. Seulement je refusais et refuse, encore une fois, l’implicite péjoratif de cette désignation. Ils auraient dit [premier/second], ç’aurait été différent, mais là, le [primaire] désigne rigoureusement tout ce qu’on méprise chez le physique : la poubellisation est toute proche. Autant les caractérologues ont restauré le bien et le mal (cf. ontoarchéologie) de l’époque hyperrationaliste avec l’alpha, autant ils ont avec ce choix entériné le bien et le mal en bêta, à la fois des catholiques et des philosophes et qui marche si bien dans l’idéalisme platonicien. Le corps, c’est sale, l’idée est plus réelle que le réel. Rebelles ici, juges moutonniers là. C’est le problème du moralisme implicite rampant là où la morale n’a rien à faire. Ce ménage-là sera fort utile en tous lieux.
Bref, le bêta des caractérologues est cent pour cent compatible avec nos visées, dont leurs textes sont pertinents à ce propos, mais leur nomenclature est teintée en plus d’être trop technique. Ceci étant dit, sans elle, je n’aurais pas découvert ce trait, ma grande œuvre c’est juste d’avoir trouvé les bons mots pour désamorcer une péjoration automatique de plus, en la mettant à nu. C’est essentiel.
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Gamma [réactif/actif][/]
Je ne l’ai pas non plus trouvé tout seul. C’est là encore la Caractérologie qui me l’a désigné : le Senne. Chez lui, comme chez Berger le trait se nomme [passif/actif] et curieusement ils l’ont placé en second en mettant le bêta en troisième. Je ne comprends pas bien, mais c’est ainsi. J’ai pour le moment relevé des « fautes de goût » dans la Caractérologie, mais là c’est une erreur ontologique. Dans les faits c’est une erreur qui a extrêmement peu d’incidence, bien moins finalement que le moralisme implicite contenu dans les traits qui sont par contre ontologiquement corrects. On voit dans ce cas que l’erreur n’est pas nécessairement la chose la plus grave en ontologie.
J’ai là aussi modifié les appellations polaires. Déclarer quelqu’un de passif est encore une fois une forme de péjoration, encore une « faute de goût » que j’ai essayé de désamorcer.
J’avais adopté ce trait par défaut, parce que je le sentais juste et aussi parce que ces maîtres-là, les caractérologues, avaient largement fait leurs preuves à mes yeux et que rien d’autre ne venait se mettre là ni dans ma perception ni dans l’ontologie formelle en général. Il y avait bien ce mystérieux couple introversion et extraversion chez Jung, son premier et unique trait, puisque les autres sont cachés dans un quaternaire érudit et quand même pour le moins embrouillé. J’ai même cru qu’avec ces deux-là, plus les deux premiers, on avait une possible quaternité de traits. Je n’ai pas vu grand-chose à ce trait jungien qui fait tout pour se distinguer des autres traits bêta, mais j’ai bien vu que les commentateurs estiment d’un commun accord que ce trait jungien est la même chose que le retentissement, soit mon trait bêta. Ça colle bien pour moi qu’un [intellectuel] soit [introverti], pourquoi pas ? De plus je fais confiance à ce jugement, donc exit ce trait comme candidat au gamma ou au delta, c’est du bêta et basta.
J’ai eu énormément de difficulté à signer la diade [passif/actif]. Même si cette signature est un truisme pour le [yin/yang] chinois, j’ai besoin de plusieurs recoupements pour me sentir sûr de moi. Et là c’était tantôt l’une, tantôt l’autre signature qui l’emportait. Elle m’a échappé pendant de nombreuses années.
Pour ce trait, je n’ai pas de dyade de détermination, je n’ai jamais ressenti le besoin d’en avoir une tellement c’est facile à discerner chez les gens. Il y a ceux qui ont toujours besoin de faire quelque chose et d’autres qui restent en place et attendent. Attendent quoi ? C’est d’abord avec Nietzsche que j’ai mieux compris le trait, ma dyade est la sienne, elle est bien meilleure, puisque le [yin] gamma n’est plus péjoré d’emblée (même si Nietzsche lui en fait voir de toutes les couleurs) et que le [passif] a quand même une façon de s’agiter et non pas de rester indéfiniment sur son rocher comme la moule qu’évoque son sens. J’étais passif, je devenais réactif, et je comprends bien mieux ma manière d’être comme ça, parce que c’est exact : si on m’appelle pour faire des choses, j’y vais, mais ce n’est jamais moi qui appelle ; j’ai la chance d’avoir des amis actifs qui me font bouger.
Ce trait est le troisième pour les styles et il est évidemment aussi le troisième pour l’ontologie formelle. En tant que troisième il est moins étudié que les deux premiers par la tradition et par les sciences, c’est factuel. C’est quand j’ai enfin pu comprendre la surface de Husserl que j’ai vu bien plus clair sur ce trait. Dans les termes de mon trésor, il se dit [vouloir/agir][créer]. Oui [vouloir] est la même chose qu’être [réactif] et même [passif] pour le trait gamma. Cela ouvre des portes de perception que je n’ai pas encore explorées à fond, qui n’ont pas encore assez dormi en moi, mais qui ne comportent pas de trouble, juste de nouveaux points d’entrées de grand intérêt.
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Delta [champ de conscience][large/étroit][enjoué/sérieux]
Le petit dernier, tout frais, tout neuf, mais pas des moindres puisqu’il s’agit d’une « cause finale ». L’immense chef-d’œuvre ontologique formel d’Aristote c’est d’avoir clôturé un millénaire de sagesse antique d’un quatrième terme, la cause finale. Tous ses maîtres avant lui avaient creusé un sillon séculaire et il l’a terminé. La complétude ontologique est tout sauf anecdotique, elle dépasse la somme de ce qui est rapproché, elle ouvre la porte à « une suite » que l’on ne pouvait pas imaginer avant, ce n’est pas juste « oh encore un poisson ! », c’est plus « la fin de cette pêche-là et du coup l’aurore d’une toute nouvelle beaucoup plus vaste ». Le quaternaire est actuellement le sommet ontologique des humains. Or le Senne et Berger ont produit la boucle quaternaire des types psychologiques de l’inné.
L’ontologie formelle des philosophes n’est pas parvenue aux quatre traits, elle n’a pas envisagé les traits, ils sont quasiment indistincts pour elle : ils ont très peu existé à l’antiquité et maintenant ils sont perdus. Aristote est le maître sans égal des catégories quaternaire, mais pas des traits, il a quand même systématisé un premier et deuxième trait, mais c’était très approximatif et je n’ai pas vu de critique ultérieure de ces traits par des commentateurs, du réemploi en typologie innée à l’identique (Keirsey) ou de la correction furtive (Heymans). Nombreux sont les penseurs à ce jour qui ont situé des catégories quaternaires avec deux traits d’ontologies régionales. Par contre au niveau général, on peut penser qu’Abellio est parvenu au trait gamma, mais ses alpha et bêta ne sont pas limpides, en tout cas pour moi. Je n’ai pas tout lu tout vu. Bien sûr, mais c’est la mise en évidence de la prééminence du trait dans les catégories qui fait réellement partie de mon avancée dans l’ontologie en me rappelant bien que je dois jusqu’au bout cette notion aux types innés. C’est le côté relativement anodin de ce geste qui me choque, comment personne ne l’a-t-il théorisé en philosophie depuis deux millénaires ou trois millénaires, même les Chinois ? J’ai ma petite idée : tout commence à la représentation. Si vous représentez quelque chose, vous créez un système dont les propriétés émergentes peuvent coller au réel, la condition étant que la représentation soit correcte. Or tout le monde s’est fourvoyé là-dessus, toutes les représentations ontologiques (colonnes, carré, croix, etc.) ont des propriétés émergentes limitées, insuffisantes et bancales. Il aurait fallu non seulement qu’on tienne bien mieux compte de l’antiquité chinoise, mais aussi d’une percée ontologique datée du moyen-âge chinois. J’y reviendrai, c’est tout un chapitre de l’ontologie générale.
Je suis donc parvenu aux quatre traits parce que les caractérologues ont fait un travail fondamental et parce que j’ai utilisé une représentation fractale qui m’a fait l’inestimable cadeau de la rotation avec laquelle j’ai pu expliquer les traits. C’est clair que j’ai énormément réfléchi, mais j’ai eu cette chance, je le répète, aussi parce qu’il y a eu tous ces géants avant moi et parce que j’ai la plus grande bibliothèque que le monde n’a jamais envisagée avant, accessible depuis ma chaise.
Quand j’ai eu cette quaternité du trait, je suis retourné voir les caractérologues et j’ai vu leur grandeur. Berger et d’autres ont proposé un candidat selon deux approches qui forment mes deux dyades sans modification cette fois-là, que j’avais balayées alors assez bêtement je dois dire comme étant « encore un trait alpha », mais là j’ai rabaissé mon caquet. On touche au chef-d’œuvre, la caractérologie s’est bouclée… puis elle est morte.
Je n’ai pas encore assez creusé ces deux pistes du trait delta chez les caractérologues, qui viennent se mettre ici comme si elles étaient parfaitement chez elles. Je n’ai donc pas encore atteint le niveau d’assurance que j’ai pour les autres traits, et que j’exige. Mais je sais une chose : cette signature du trait delta me remplit de bonheur, elle illumine mon espace, et, quand je m’en sers autour de moi, elle parle tellement.
Je suis un [sérieux] non contrarié, donc acharné. Je suis certes apte à l’enjouement, le mien comme celui des autres, mais je le rejette souvent en vrac comme une perte de temps. C’est un problème de relation au monde d’ordre psy que j’ai là, on dirait, du moins tant que je ne m’en rendais pas compte. Du coup je travaille là-dessus : je peux être ainsi, pourquoi pas, mais pas juger les gens sur ce trait, et c’est un peu ce que je faisais. Je retourne à la petite école, c’est génial, je réenvisage tout le monde autour de moi, c’est parfait.
Je pense par ailleurs que l’agapé a tout à voir avec le [yin] delta. Selon ma perception, ce moment pourrait bien survenir quand on a fini une chose et que l’on constate ce qui est fait. C’est le bonheur que l’on ressent d’une journée bien remplie quand on regarde le chantier nettoyé après une journée de travail : on se congratule et on se félicite. Généralement, j’ai l’impression que plus on monte dans le yin, plus les choses deviennent austères et là c’est tout le contraire, une chose très belle, qui a remué les anciens, fait irruption en son site. J’apprécie beaucoup.
Les caractérologues n’ont pas pu s’empêcher de moraliser ce trait avec [large/étroit]. Pour eux on est Large ou non-Large. Allons-y pour le genre de citations qui tuent l’ambition caractérologique : « En résumé, un champ de conscience large correspond à un esprit souple, nuancé, cultivé, ouvert à toutes les perceptions ; un champ de conscience étroit, à un esprit étriqué, rigide, à œillères, fermé à tout ce qui sort du cadre étroit de ses intérêts immédiats ». C’est la première chose qui apparaît sur le Net… Quel dommage. Comme avec leur trait alpha, c’est le [yang], l’[étroit] qui est mal vu, c’est encore la vengeance de l’irrationnel ; on n’a pas besoin de cela. J’aime bien mieux le couple [enjoué/sérieux], j’aime bien mieux quand les deux sont utiles, pas vous ? La caractérologie nous offre encore une dyade pour accompagner ce trait [souplesse/raideur], avec ce même a priori.
Le moralisme en ontologie est pure perte de temps, aberration, parce que c’est seulement à partir d’une ontologie cohérente que l’on peut seulement commencer à penser une morale fonctionnelle, de la même façon que le formel conduit à l’efficient chez Aristote.
Je vis avec ce quatrième trait depuis pas plus de trois mois, c’est vraiment très peu. Je n’ai même pas l’assurance qu’il est bien le quatrième trait. J’en ai d’autant plus pour des années avec cette découverte qu’en dehors des caractérologues je ne connais aucun auteur, de toute discipline ou de toute non-discipline confondues, qui l’ait perçue en dyade, même isolée en dehors d’une structure de traits. J’ai pu passer à côté, mais ce ne sera plus le cas puisque c’est devenu un sens chez moi.
Ce sens est encore incertain dans la mesure où c’est delta[créer/comprendre] qui boucle la boucle de mon trésor, quand ils donnent le retour au [sentir] du trait alpha : [créer/comprendre][sentir].
Ceci dit que [créer], c’est [enjoué] et [comprendre] c’est [sérieux]. Et le mystère du retour, c’est que l’enjoué plus le sérieux nous ramène à l’irrationnel du commencement. Faire vivre dans la pensée les analogies, les enchaîner et voir ce qui nait par-là, c’est ça faire de l’analogie formelle.
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Je suis loin d’avoir fini. Il y a l’attirance sexuelle ou pas, il y a encore le rapport au QI, à la race. Il y a les conséquences du choix radical de l’innéité qui implique le rejet théorique de tout acquis dans le style CC, ce qui conduit à rejeter pour cette recherche d’autres choses en même temps que la morale : de base ce sont les tests et les portraits, qui sont bien sympathiques, mais qui se montrent totalement contre-productifs quand il s’agit d’encourager l’étude de cette science.