Georges Ohsawa

Georges Ohsawa est connu pour sa théo­rie de la nutri­tion : la macro­bio­tique. Cette approche repose exclu­si­ve­ment sur l’as­so­cia­tion yin/yang qui est ce qui nous inté­resse ici.

Son approche prin­ci­pielle revêt une impor­tance parti­cu­lière ici pour deux raisons majeures indé­pen­dantes de la macro­bio­tique.

Fait des plus inté­res­sants, il est le premier depuis Confu­cius à effec­tuer un véri­table travail de recherche et d’ex­pli­ca­tion sur le yin et le yang. On peut consi­dé­rer que, peu ou prou, il est sans doute le seul et unique théo­ri­cien au monde de la double notion depuis Confu­cius. Tous les auteurs grand public qui ont suivi cette voie là en Occi­dent n’ont fait que le para­phra­ser et l’on peut dire que nous lui devons tous indi­rec­te­ment notre connais­sance de ce sujet, puisqu’il est le seul à en avoir parlé et mieux, à l’avoir exploité.

Second fait, des plus trou­blant celui-là, Ohsawa a signé les duali­tés chinoises clas­siques « à sa mode » : la moitié de ses signa­tures est en contra­dic­tion avec les signa­tures tradi­tion­nelles chinoises si l’on se réfère à Marcel Granet. Il a commis une telle énor­mité sans jamais mention­ner l’exis­tence de ces écarts, comme s’il n’avait pas remarqué. Ses suivants ont emboité le pas avec tout autant d’in­sou­ciance.

Ce compor­te­ment est des plus désta­bi­li­sant. En effet, si une signa­ture sur deux est contra­dic­toire, alors la signa­ture est une pratique statis­tique­ment aléa­toire, donc le Prin­cipe Unique ne tient pas, puisqu’il n’a aucune possi­bi­lité de fonde­ment consen­suel. Le premier à parler sérieu­se­ment de la notion millé­naire est celui qui la détruit, comme par mégarde. Épous­tou­flant.

Ohsawa s’est rendu compte de ces contra­dic­tions et semble avoir colmaté la brèche avec les moyens du bord sans rencon­trer trop de critique autour de lui, ce qui n’est pas un honneur. Il a édicté une règle de base, que je pense complè­te­ment inte­nable et qui est la source de sa destruc­tion du prin­cipe, c’est que la signa­ture est contex­tuelle, un yin peut deve­nir yang et réci­proque­ment selon les circons­tances.

Cela met à genoux toute préten­tion à l’uni­ver­sa­lité de la signa­ture et donc du prin­cipe. Il est à noter que cette réflexion sur l’œuvre d’Oh­sawa ne s’étend pas néces­sai­re­ment à la macro­bio­tique. Les deux travaux d’Oh­sawa, s’ils sont forte­ment liés, sont indé­pen­dants quand à leurs objets, les concepts nutri­tion­nels doubles qu’il emploie sont tota­le­ment sépa­rés des concepts double qu’il décrit dans son Prin­cipe Unique.

L’ex­pli­ca­tion de cet écart s’est fina­le­ment avérée assez simple… Ohsawa a été formé en Occi­dent. Si l’on étudie les carac­té­ris­tiques de ses signa­tures, on réalise que toutes les inver­sions qu’il produit par rapport à la norme de fait chinoise découlent de l’idéa­lisme plato­ni­cien qui ne nous a jamais quitté, donnant l’idée comme plus réelle que le réel lui-même. C’est une erreur des plus clas­sique, c’est l’er­reur occi­den­tale par excel­lence. Je sais, je l’ai commise des années durant et sa recti­fi­ca­tion a été plutôt longue et doulou­reuse pour moi.

Georges Ohsawa – Le Prin­cipe Unique

Georges Ohsawa – Le Prin­cipe Unique de la philo­so­phie et de la science d’Ex­trême-Orient

Le prin­cipe unique (la consti­tu­tion-concep­tion de la vie et de l’Uni­vers de l’Ex­trême-Orient) n’est en réalité qu’une méthode de clas­si­fi­ca­tion dialec­tique pratique et univer­selle, acces­sible à tout le monde, qui embrasse tout ce qui existe dans l’uni­vers et l’Uni­vers lui-même.
Georges Ohsawa

Jean François Mattéi – L’ordre du monde

On peut dire que dans ce livre Mattéi se laisse aller à moins de rete­nue que d’ha­bi­tude. La quatrième de couver­ture donne une idée de cela :

L’ordre du monde : l’ex­pres­sion paraî­tra suspecte à ceux qui ont choisi le vide du concept contre la pléni­tude du sens et refusent à la raison moderne le droit de recon­naître sa quadruple racine pour édifier une éthique à la mesure de l’être.

C’est de la colère.

On peut bien, aujourd’­hui, oublier l’injonc­tion carté­sienne de chan­ger plutôt ses désirs que l’ordre du monde, et se satis­faire, Ciel et Terre abolis, d’une raison qui achève son empire sur un désert. C’est toujours le monde, fina­le­ment, qui a le dernier mot.

Et du pessi­misme, de l’im­puis­sance qui fait écho au désar­roi de Heideg­ger face à l’in­com­pré­hen­sion.

C’est encore un ouvrage clé pour moi. Celui ci m’a montré qu’une colère sourd de cette lignée d’éru­dits. Elle me les rend plus réels. Le contenu de ce livre revient inlas­sa­ble­ment sur le problème de l’ou­bli de l’Être, conju­gué en « Oubli de l’ou­bli de l’Être » par le contem­po­rain qui semble admi­rer Heideg­ger, mais l’en­ferme dans une parfaite incom­pré­hen­sion de son œuvre.

J’ai enfin vrai­ment compris par ce livre que j’avais des frères en pensée, sorte de consé­cra­tion de 20 années de recherches. J’ai aussi pu oser appo­ser la signa­ture de l’Ordre et du Désordre, notion au centre du monde depuis Zoroastre, fonda­teur du premier des mono­théismes.

J’em­prunte désor­mais l’ex­pres­sion « L’ordre du monde » en fondant sa légi­ti­mité sur ce livre, œuvre d’un ami en pensée.

Heideg­ger et les philo­sophes

L’ap­pré­cia­tion de Heideg­ger par mes contem­po­rains est horri­ble­ment faus­sée. On ne trouve dans toute la philo­so­phie offi­cielle que deux postures concer­nant la pensée heideg­gé­rienne, aussi peu crédibles l’une que l’autre. Soit il est un nazi pour avoir prôné le sol natal, ce qui annule toute sa pensée, soit l’axe le plus perma­nent de sa recherche permet de le juger parfois stupide d’un simple revers de la main par les mêmes qui le déclarent pour­tant le penseur le plus impor­tant du XXe siècle. D’un côté comme de l’autre on semble déli­bé­ré­ment igno­rer la logique. Ces deux façons d’en­vi­sa­ger Heideg­ger, qui se présentent l’une comme l’agres­sion et l’autre comme la défense du penseur, ne sont en fait que deux façons d’es­sayer de tuer son œuvre : l’une, fasciste voulant la déca­pi­ter sans procès, l’autre hypo­crite l’étouf­fer, sans procès non plus.

Selon la pseudo-logique des premiers, il faudrait nier toute l’œuvre de Platon qui deux fois dans sa vie se mit au service du tyran. Ce paral­lèle avec Platon n’est jamais évoqué par ses détrac­teurs. Pour­tant l’un comme l’autre lorgnaient vers le poli­tique en pensant pouvoir l’amé­lio­rer. Croire qu’un philo­sophe peut appor­ter son grain de sel à la poli­tique, c’est sans doute une mauvaise tenta­tion, une erreur disons. Mais dans les deux cas on peut déduire des témoi­gnages que les inten­tions étaient bonnes au départ.

Il faut dire les choses comme elles sont : l’œuvre de Heideg­ger est codée, et ce code est parfai­te­ment illi­sible si on ne croit pas dans le prin­cipe ou pire si on le nie par auto­ma­tisme. Les penseurs de l’école domi­nante ne peuvent tech­nique­ment pas envi­sa­ger le prin­cipe et sont donc forcés d’am­pu­ter une grande part des œuvres d’au­teurs qu’ils révèrent pour­tant. Les plus grands sont les plus malins. Ils usent du prin­cipe en le niant comme il faut. On trouve chez Kant par exemple une accu­mu­la­tion fasci­nante de signa­tures duales, trini­taires, quater­naires et même octales, mais à aucun moment un prin­cipe commun à ces repré­sen­ta­tions n’est évoqué par lui, c’est Heideg­ger lui même qui l’af­firme. La remarque de Benja­min sur Kant, dans sa Philo­so­phie qui Vient, ne tient réso­lu­ment pas compte de ce vide quand elle décrit chez Kant ce que Confu­cius à inscrit dans son apho­risme.

Dans ce blogue des dizaines d’équa­tions analo­giques multi­dis­ci­pli­naires montrent sans équi­voque leur simi­la­rité onto­lo­gique avec la quadra­ture aris­to­té­li­cienne, c’est une signa­ture recon­nais­sable entre mille.

Cette quadra­ture, commen­ce­ment de la pensée heideg­gé­rienne, est dans les faits un outil clas­sique et secret du cher­cheur, quelle que soit sa disci­pline. Jamais la philo­so­phie, ni les prudents cher­cheurs, n’en parlent comme d’un fait : puisqu’é­tant prin­ci­pielle elle ne peut exis­ter, il faut donc se taire. Pour ces cher­cheurs contraints de respec­ter ce serment écrit nulle part, il faut donc mentir sur leur métho­do­lo­gie, sous peine de discré­dit. Ce n’est pas une posture raison­nable pour le firma­ment de la raison que pense être la philo­so­phie.

Yi-King et oracle

On peut abor­der le Yi-King de diffé­rentes façons. Fonda­tion de toute la culture chinoise, profond et origi­nal livre de la sagesse des jours, exposé d’on­to­lo­gie fonda­men­tale, oracle, et sans doute encore d’autres approches.

Oracle signi­fie quelque chose comme dispo­si­tif de contact avec la synchro­ni­cité. L’oracle n’est pas de la prédic­tion, il n’est un outil de déci­sion qu’in­di­rec­te­ment, par la compré­hen­sion du moment qu’il apporte. Fonda­men­ta­le­ment l’oracle nous dit ce que nous savions déjà, mais en isolant l’im­por­tant de tout ce que nous savions sans doute déjà au sein de la multi­pli­cité des hypo­thèses, avec leurs poten­tielles erreurs de juge­ments. Il donne du recul et change notre manière de consta­ter le réel, le moment que nous vivons.

Le Yi-King a un mode d’em­ploi subtil. Il étonne toujours celui qui sait s’y prêter. En tout cas c’est mon cas. Il m’a souvent servi de clari­fi­ca­teur (aide à la déci­sion, anti­dé­pres­seur) et même parfois tiré de situa­tions compliquées avec des gens pas clairs. Je ne suis pas un prosé­lyte de ce livre, je suis un esprit exigeant et ration­nel, capable d’ex­pé­riences de pensée et d’es­prit critique aussi bien sur elles que sur mes propres juge­ments. Et juste­ment : igno­rer l’ac­cu­mu­la­tion de constats surpre­nants, leur récur­rence même, ce ne serait pas très rigou­reux.

Ce que je dis ici est ce qui s’est imposé à moi, et qui conti­nue année après année, de ma pratique oracu­laire du Yi-King. Quasi­ment chaque tirage du Yi-King que j’ai effec­tué depuis peut-être 10 ou 15 ans à été un ensei­gne­ment lumi­neux du présent, de mon présent. Je n’y peux rien, c’est comme ça : quand je pratique un tirage selon mon rite, à chaque fois je reçois de la compré­hen­sion de mes problèmes du moment et du coup je ressors trans­formé. Je passe d’un « lieu » de pensée à un autre, c’est flagrant. C’est un dépay­se­ment qui ne fait pas quit­ter « le pays », mais le rend nouveau, plus vaste et plus riche de possi­bi­li­tés qu’il ne semblait au départ. J’in­siste sur l’adé­qua­tion subtile des tirages avec la situa­tion présente. Tout est là, c’est quand le message reçu est parfai­te­ment clair et adéquat qu’il procure le chan­ge­ment d’état d’es­prit.

L’œuvre des chinois est consi­dé­rable. Ils ont atteint, avec la sagesse des jours, l’ordre du monde.

Dans le Yi-King le passage du 4 (éléments) au 8 (dédou­ble­ment des 4 éléments donnant le trigramme) est basé sur le prin­cipe. Il faut noter que la posi­tion du Feu et de l’Air sont inver­sés, c’est une erreur. Ensuite, les chinois ont ré-appliqué le 8 au 8 en fondant l’hexa­gramme, qui est la somme de deux trigrammes. Ceci permet­tait de repré­sen­ter les 64 situa­tions qui se déga­geaient des études anté­rieures. Mais il est impor­tant de comprendre que le passage du 8 au 64 n’a pas été exac­te­ment réalisé selon la règle onto­lo­gique ou prin­ci­pielle, il a été réalisé analo­gique­ment selon l’ap­pa­rence de la repré­sen­ta­tion choi­sie arbi­trai­re­ment pour les trigrammes et hexa­grammes.

L’hexa­gramme se consti­tue de deux trigrammes, ce qui permet en théo­rie de faire une inter­pré­ta­tion tech­nique guidée unique­ment par l’on­to­lo­gie, mais ce n’est pas ce qui est arrivé, les chinois ont utilisé l’as­pect de la repré­sen­ta­tion, aspect méta­pho­rique, pour donner le sens de l’hexa­gramme. Vu aujourd’­hui c’est une dérive, une perte d’exi­gence sans doute justi­fiée par la diffi­culté tâche à réali­ser, qui était d’in­cor­po­rer les résul­tats tangibles (cara­paces de tortues) d’une pratique multi­mil­lé­naire en un système. Le flam­boyant succès de cette tâche permet d’en­vi­sa­ger l’on­to­lo­gie fonda­men­tale à un niveau bien supé­rieur à tout ce qui s’est fait depuis dans ce domaine.

La tâche ne pouvait alors être réali­sée qu’a­vec l’aide de la poésie et, c’est l’unique objet de cet article, ils sont parve­nus à un résul­tat abso­lu­ment prodi­gieux qui fait de ce livre l’unique ouvrage vrai­ment opéra­tion­nel de magie, accordé en toute confiance à l’har­mo­nie du monde.

On voit ici l’illus­tra­tion parfaite de la conduite de la recherche onto­lo­gique fonda­men­tale. Le résul­tat d’un travail dans ce domaine peut être enri­chis­sant même si la recherche comporte des erreurs ou des approxi­ma­tions fonda­men­tales. La condi­tion est l’hu­mi­lité et la capa­cité toujours nouvelle au doute.

On peut, on doit même, imagi­ner faire un jour la réécri­ture des 64 situa­tions selon la pure règle onto­lo­gique. Mais les athlètes de ce mode de pensée n’existent plus, cette science-racine est à réin­ven­ter sur le temps long. Rappe­lons nous que notre civi­li­sa­tion plafonne dans cette recherche à la quater­nité, et que dans sa néga­tion de l’ordre fonda­men­tal onto­lo­gique elle ne se rend même pas compte de la richesse fulgu­rante de ce palier qu’à défi­ni­ti­ve­ment fondé Aris­tote. Comment dans ce cas dépas­ser la sublime approxi­ma­tion de la sagesse chinoise à 64 situa­tions deve­nant qui plus est 4096 avec les traits chan­geants ?