Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti
Jean-François Mattéi
Ce livre là est celui qui a assis en moi ce qui n’était encore qu’une impression : Heidegger a désigné toute sa vie durant l’objet qui est aussi celui de ma quête depuis deux décennies. Muni de cette confirmation j’ai enfin trouvé un sol solide, une connivence certes encore difficile à cerner, mais nettement établie.
Tout en retenue dans ce livre, Jean François Mattéi est celui qui a exposé clairement ce que tout le monde refuse de reconnaître chez Heidegger, la quête permanente d’un métaphysicien croyant en autre chose que la Sainte et Intouchable Raison des raisonneurs. Oui, un croyant. Et pour être plus précis, un croyant sachant qu’il croit, par opposition à ceux qui croyant ne rien croire prétendent détenir une vérité hégémonique.
Le langage de Heidegger est hermétique. Il l’est pour tout le monde, mais il s’éclaire si l’on connaît la constante chez ce penseur. Depuis ses 18 ans, âge auquel on lui a offert la fameuse dissertation de Franz Brentano il n’a pas changé de direction, même lors du tournant.
Mattéi est celui qui a osé dire ces choses. On peut lire des tas de livre érudits ou simples sur Heidegger qui passent toutes à côté du plus important en un silence pesant. J’avais débuté avec le livre « Heidegger » de Georges Steiner, qui m’a tout dit, mais sans l’essentiel. C’est un excellent exemple de ce que j’ai rencontré partout ailleurs que chez Mattéi et ses amis.
Quatrième de couverture
Heidegger a voulu ranimer la question du sens de l’être en prenant le « tournant » qui, en même temps que son dépassement, effectue l’appropriation de la métaphysique. Si celle-ci ne peut saisir la dimension originaire dans laquelle elle se déploie, il lui reste à évoquer l’énigme de sa provenance : ce dont on ne peut parler, il faut le dire.
Telle est cette unique pensée que Heidegger a retrouvée dans la poésie hölderlinienne, des cours sur La Germanie et Le Rhin à la conférence Terre et Ciel de Hölderlin. On a interprété la rencontre des deux écrivains souabes, dans leur appel au « retournement natal », comme une justification du totalitarisme, et l’on a dénoncé, avec Adorno, ce pathos de l’origine qui réduit la pensée à une fixation narcissique au peuple allemand.
Il n’y a pourtant aucune confusion entre le mythe natal et la mythologie nazie. Ce que Heidegger a cherché dans Hölderlin, c’est moins le poète de la terre-mère que l’épreuve de la vérité de l’être qui commande le quadrillage de la métaphysique. C’est bien Aristote, avec le concert des quatre causes, qui a conduit Heidegger sur la voie de Hölderlin.
Car si l’étant se dit de multiples façons, pourquoi ces façons se trouvent-elles au nombre de quatre ? L’énigme de la métaphysique recouvre l’énigme de l’ « autre pensée », celle qui ouvre le monde selon les nervures du Quadriparti. Terre et Ciel, Divins et Mortels expriment les harmoniques de l’être où, à la croisée des chemins, s’unissent ce que le penseur nomme les « puissances de l’origine », et le poète, les « voix du Destin ».
J.-F.M.
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2003-v59-n3-ltp757/008800ar.pdf