Heideg­ger et les philo­sophes

L’ap­pré­cia­tion de Heideg­ger par mes contem­po­rains est horri­ble­ment faus­sée. On ne trouve dans toute la philo­so­phie offi­cielle que deux postures concer­nant la pensée heideg­gé­rienne, aussi peu crédibles l’une que l’autre. Soit il est un nazi pour avoir prôné le sol natal, ce qui annule toute sa pensée, soit l’axe le plus perma­nent de sa recherche permet de le juger parfois stupide d’un simple revers de la main par les mêmes qui le déclarent pour­tant le penseur le plus impor­tant du XXe siècle. D’un côté comme de l’autre on semble déli­bé­ré­ment igno­rer la logique. Ces deux façons d’en­vi­sa­ger Heideg­ger, qui se présentent l’une comme l’agres­sion et l’autre comme la défense du penseur, ne sont en fait que deux façons d’es­sayer de tuer son œuvre : l’une, fasciste voulant la déca­pi­ter sans procès, l’autre hypo­crite l’étouf­fer, sans procès non plus.

Selon la pseudo-logique des premiers, il faudrait nier toute l’œuvre de Platon qui deux fois dans sa vie se mit au service du tyran. Ce paral­lèle avec Platon n’est jamais évoqué par ses détrac­teurs. Pour­tant l’un comme l’autre lorgnaient vers le poli­tique en pensant pouvoir l’amé­lio­rer. Croire qu’un philo­sophe peut appor­ter son grain de sel à la poli­tique, c’est sans doute une mauvaise tenta­tion, une erreur disons. Mais dans les deux cas on peut déduire des témoi­gnages que les inten­tions étaient bonnes au départ.

Il faut dire les choses comme elles sont : l’œuvre de Heideg­ger est codée, et ce code est parfai­te­ment illi­sible si on ne croit pas dans le prin­cipe ou pire si on le nie par auto­ma­tisme. Les penseurs de l’école domi­nante ne peuvent tech­nique­ment pas envi­sa­ger le prin­cipe et sont donc forcés d’am­pu­ter une grande part des œuvres d’au­teurs qu’ils révèrent pour­tant. Les plus grands sont les plus malins. Ils usent du prin­cipe en le niant comme il faut. On trouve chez Kant par exemple une accu­mu­la­tion fasci­nante de signa­tures duales, trini­taires, quater­naires et même octales, mais à aucun moment un prin­cipe commun à ces repré­sen­ta­tions n’est évoqué par lui, c’est Heideg­ger lui même qui l’af­firme. La remarque de Benja­min sur Kant, dans sa Philo­so­phie qui Vient, ne tient réso­lu­ment pas compte de ce vide quand elle décrit chez Kant ce que Confu­cius à inscrit dans son apho­risme.

Dans ce blogue des dizaines d’équa­tions analo­giques multi­dis­ci­pli­naires montrent sans équi­voque leur simi­la­rité onto­lo­gique avec la quadra­ture aris­to­té­li­cienne, c’est une signa­ture recon­nais­sable entre mille.

Cette quadra­ture, commen­ce­ment de la pensée heideg­gé­rienne, est dans les faits un outil clas­sique et secret du cher­cheur, quelle que soit sa disci­pline. Jamais la philo­so­phie, ni les prudents cher­cheurs, n’en parlent comme d’un fait : puisqu’é­tant prin­ci­pielle elle ne peut exis­ter, il faut donc se taire. Pour ces cher­cheurs contraints de respec­ter ce serment écrit nulle part, il faut donc mentir sur leur métho­do­lo­gie, sous peine de discré­dit. Ce n’est pas une posture raison­nable pour le firma­ment de la raison que pense être la philo­so­phie.

Bren­tano – Aris­tote les diverses accep­ta­tions de l’être

Aris­tote les diverses accep­ta­tions de l’être
Franz Bren­tano

Quatrième de couver­ture

Cette disser­ta­tion légen­daire de Franz Bren­tano (1838–1917), éditée à Fribourg en 1862, prend pour fil conduc­teur de son inter­pré­ta­tion de la « méta­phy­sique » comme science de « l’être en tant qu’être » le leit­mo­tiv : « l’être se dit pluriel­le­ment ». Mais quelle en est alors la signi­fi­ca­tion directe et unitaire ?
L’am­bi­tion de Bren­tano est de recons­ti­tuer une doctrine dont il s’agit à la fois de montrer et de sauver la cohé­rence. Le primat accordé à l’ac­cep­ta­tion caté­go­riale de l’être amène à resti­tuer un « arbre généa­lo­gique » des caté­go­ries dont le chatoie­ment corres­pond stric­te­ment à la diver­sité des modes de prédi­ca­tion de la « substance première ». Même si la ques­tion reste posée de savoir si la pluri­vo­cité de l’être se ramène essen­tiel­le­ment à la diver­sité caté­go­riale, ou si, au contraire, les caté­go­ries n’illus­trent qu’une plura­lité restreinte, au sein d’une accep­ta­tion de l’être dont elles déclinent les « moda­li­tés » ou les « figures », mais dont rien ne dit qu’elle serait souve­raine, cette magis­trale initia­tion demeure un jalon incon­tour­nable dans l’his­toire de la réap­pro­pria­tion moderne d’Aris­tote et du problème que pose la consti­tu­tion d’une onto­lo­gie.

Traduit de l’al­le­mand par Pascal David, profes­seur à l’uni­ver­sité de Brest.

Vrin – Biblio­thèque des Textes Philo­so­phiques
208 pages –
ISBN 978–2–7116–1127–0 – décembre 1992