L’expression « penser hors de la boîte » s’est imposée par la publicité, il me semble, d’un fabricant hi-tech excessivement connu, dont les marchandises avaient connu un réel saut imaginatif, qualitatif et marketing, une certaine audace de conception rare à ces niveaux-là du rentabilisme pur.
Bien évidemment ni la révolution ni l’évolution ne sont au bout de ce chemin-là : l’idée de vendre plus que tous les autres réunis et d’enclencher le cercle de l’augmentation des profits pécuniaires c’est ça penser à l’intérieur de la boîte, même si la campagne de publicité dit le contraire sans être totalement mensongère. Visiblement ici, penser hors de la boîte se fait depuis la boîte et pour la boîte.
En attendant, j’aime bien l’expression, je la trouve utile. En devenant un argument reluisant du merchandising elle s’est certes montrée sous une face très diminuée, mais elle n’en est pas moins là, dans l’esprit des gens, cristallisant de manière précise et imagée une certaine idée de ce que devrait être l’évolution des pensées humaines en général.
C’est le plus aisément en relation avec la rupture technologie et l’investissement lourd que l’on peut imaginer sortir de la boîte et être bien vu. Et la sanction qui est aussi la mesure, c’est toujours celle de l’argent, la quantité d’argent, deux mots parmi les plus sublimes de notre répertoire idéologique contemporain. Quand on parle de science c’est différent, on ne sort pas de la boîte, il n’y a rien d’autre que la boîte. Il se produit chaque jour et partout dans les sciences une activité frénétique pour définir que ce qui est hors de la boîte n’existe pas. C’est paradoxal, mais l’activité scientifique actuelle n’en est pas à un paradoxe près. Nous verrons comme c’est facile de délimiter la boîte par la grâce de ces vertueux efforts quotidiens de toutes ces petites mains, cette somme pointilliste de luttes contre l’adversité où se détache la Science de la science en même temps que l’affectivité passe de perceptible à envahissante, voire meurtrière.
Je réfléchis constamment pour moi-même à des problématiques qui intéressent l’humain depuis des éternités, c’est comme ça, c’est arrivé dans ma vie. J’aime cette réflexion, elle m’émerveille, elle m’a choisi plus que je ne l’ai choisie. Par elle je me sens profondément connecté à des amis que je ne rencontrerai jamais, qui ont pensé avant moi et qui ont tout fait pour transformer ces pensées en mots, puis à les mettre sur un support physique, pour transmission, pour plus tard.
La science n’est pas une chose que l’on acquiert spécifiquement dans les écoles, c’est une activité du vivant. Je fais de la science dans les pas de grands penseurs avant moi. Savoir si j’ai le droit de dire cela au début du XXIème siècle, « je fais de la science », revient à me demander si j’ai les diplômes suffisants pour penser dans la discipline qui est la mienne. Sinon, je suis un prétentieux, un idiot ou un charlatan ou encore tout ce que vous voudrez. C’est archi-faux. « Charlatanisme », « complotisme », et autres appellations méprisantes apposées à des êtres perçus unilatéralement comme incultes et sans intelligence, ne sont que des garde-fous affectifs destinés à protéger le cœur apparemment fragile et vacillant de la Science, sinon pourquoi tant de murailles et de violence érigées face à ce qui n’est que l’altérité : le fait qu’autre chose existe que soi ?
Précisons que la majuscule ici employée symbolise la boîte, c’est parfait comme ça. Si la « science » est une activité du vivant – comme l’est la science du nid chez l’oiseau – et donc intemporelle en tant que telle, la « Science », elle, est l’esprit de corps contemporain de ceux qui se sont arrogés cette activité depuis quelques siècles, hautement temporelle et temporaire, sujette à renversements, et c’est tant mieux.
Je suis pour l’instant obligé de schématiser, ne mettez pas trop vite dans mes mots de l’extrémisme ou du simplisme. Je ne suis pas dispensé par miracle de ce que je décris chez les autres, l’affectivisme. La différence est que je ne le nie pas, je le vis, j’essaye. Je suis un être vivant depuis toujours et pour toujours dans la boîte, par la boîte et pour la boîte. Je suis « pour » la boîte quand je la critique, précisément quand je la critique. Elle doit grandir et grandir c’est d’abord reconnaître ses errements. Il y a du boulot.
Notre Science commence aux philosophes grecs, s’ancre puissamment avec la période Descartes/Lumières et devient folle avec le Positivisme/Scientisme. Elle s’en rend compte ensuite et se contente de bannir l’appellation religieuse (Scientiste), mais sans le moins du monde en renier la signification profonde : la Science seule peut tout. Dans les faits, la majorité des Scientifiques est factuellement positiviste ; ils seront vexés si on le leur dit, mais toute leur pensée ontologique le crie dès qu’ils ont l’occasion de l’exprimer. La philosophie propose à cela un remède plutôt discret, mais quand même, qui se nomme l’épistémologie, à défaut de métaphysique. C’est déjà pas mal, mais c’est très technique et assez facile à esquiver quand on est étudiant de première année, seul moment du cursus où elle est enseignée. Et c’est fort dommage, parce que l’épistémologie permet d’éviter des positionnements assez stupides, comme de penser prouver l’inexistence d’une chose avec une seule expérience négative. C’est une science en pleine évolution qui a déjà déboulonné de hautes certitudes quant à l’infaillibilité de la Science, le dommage étant qu’elle ne s’en est pas encore rendue compte. On ne contourne pas Kuhn, mais il reste à la marge « ce n’est pas ma discipline ».
De toute façon la Science ne se rend pas compte de grand-chose hors ses murs. La révolution de la physique quantique n’a apparemment pas encore effleuré, cent ans après, ni la médecine ni la biologie. On peut en dire autant de certain de ses propres développements plus ou moins récents qui semblent tous tomber soit dans une zone aveugle, soit dans une zone scandaleuse, là où des chercheurs parfois honnêtes vont souffrir.
Encore une fois je schématise, il y a dans la Science des tas de gens qui pensent hors de la boîte, des tas de gens qui ont une forme de conscience ou une autre de ce que je dis ici et que je suis loin d’être le seul à penser, des gens qui rusent pour ne pas se faire ostraciser, qui font semblant de croire dans les dogmes de la Science et qui poussent la boîte à s’agrandir malgré elle, malgré la grande force d’uniformisation régressive présente qui la caractérise de mieux en mieux, jusqu’à la caricature. La quantité d’argent là aussi est devenu l’unique repère, il n’y plus la moindre explication du monde, juste la quête du contrôle que recouvre ce mot renversé « objectivité ». Et si la Science avance encore malgré tout, c’est par la grâce de ses dissidents secrets, tant qu’il en reste, car c’est ceux-là même qu’elle s’améliore à chasser et à détruire chaque jour de mieux en mieux. La maxime qui dit le mieux, même indirectement, ce que fait ici la Science est celui-ci : « le diplôme n’est pas une preuve d’intelligence, c’est une preuve de docilité ». La docilité est le contraire de ce qui permet la découverte, il faut de l’audace pour cela et aussi une certaine fantaisie.
Cette surpuissance du milieu Scientifique à s’auto-détruire inconsciemment (et notre monde par la même occasion) est juste l’état actuel des choses. Les paradigmes changent, les axes nouveaux de pensée jaillissent de partout, mais une pensée dominante, puissante et pétrifiée vient inlassablement asséner ses jugements de valeurs méprisants comme fin de non-recevoir.
C’est assez triste à voir comme à vivre. Nous y reviendrons évidemment, puisque c’est le cœur du problème de notre dangereuse époque. Le Politique est amarré à la Science, la gestion des états de même, les mêmes erreurs premières sont érigées en vérités incontestables. La spiritualité est dégommée de partout pour se retrouver bassement exploitée à faire la pub ou des films de bas de gamme, supposés influencer les gens à faire les bons choix selon le fameux acronyme : TINA, « there is no alternative », il n’y a pas d’alternative que ce que nous disons, voilà pour le choix, le choix contemporain de croire…
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Je situe le commencement symbolique de toute cette aventure extraordinaire à Parménide, géant de la pensée grecque, maître avant Socrate, lui-même maître avant Platon, qui fut maître avant Aristote. L’aventure se nomme « la conquête de la rationalité », elle est prodigieuse et épique, bouleversante et magnifique. Elle continue et perpétue l’aventure humaine, qui connut avant elle la position debout, la parole, l’écriture, etc. Nous sommes témoins de l’une de ses inflexions majeures : devenue trop puissante elle dépasse sa créature : nous devons changer quelque chose. La parabole de l’apprenti sorcier à toute sa pertinence ici, à l’exception du fait qu’à la fin de l’histoire le maître revient et remet tout en place… Dans le monde réel il n’y a pas de maître magique qui reviendra tout corriger, il n’y a que nous, qui devons, en tant que civilisation planétaire, devenir ce maître. C’est un fait souvent cité que la technologie et la science ont dépassé nos capacités à les gérer, que ce sont elles qui nous instrumentent. Je pense que c’est vrai. L’aventure rationaliste s’est bâtie depuis Parménide sur un déni.
Non, la rationalité n’est pas un sommet qu’il faudrait atteindre après avoir jeté tout le reste. C’est un mode de pensée parmi d’autres, qui a ses spécificités, ses forces et ses faiblesses. Si vous refusez cette affirmation (un mode de pensée parmi d’autres), et que votre cœur se met à battre plus vite et que votre cerveau s’emballe, alors vous êtes probablement noyé dans le piège cognitif qu’a manigancé un penseur de génie (Parménide) pour se débarrasser d’un adversaire redoutable (Héraclite). Le piège que j’évoque n’est historiquement pas séparable de ce qui a fait et fait encore toute la grandeur de la rationalité. Je le résume sans doute au lance-pierre, mais sans rien trahir.
L’émergence de la Rationalité en tant que mouvement coïncide avec la prise de conscience de son existence en tant que fait : rationalité avec une minuscule, donc. L’activité naturelle qui l’a vue naître et fait vivre ensuite pour longtemps, se nomme sagesse, vraiment. La rationalité existait avant, de toute évidence, puisqu’il s’agit d’un mode d’être du vivant, le calcul, mais elle s’est vue extirpée par la pensée de la gangue alors indifférenciée des différents modes de penser. Sa force a ébloui, éblouit encore et c’est là que s’est glissé un problème d’abord mineur, mais constitutif, ce que les grecs appelaient un proton-pseudos, soit une très mince erreur initiale, qui prend avec le temps des proportions gigantesques. L’erreur je vais l’écrire juste maintenant. Elle est d’une portée incalculable qui donne littéralement l’invisible (apparemment) solution.
La pensée rationnelle a commencé par extraire certains des fonctionnements de la pensée qui l’intéressaient et à s’y concentrer. Parfaite démarche de type scientifique élevé qui consiste à concentrer son attention sur un sujet donné, donc en refusant tout net d’aborder d’autres sujets. Jusque là tout va bien, mais bien sûr il y a un mais et tout est là : petit à petit, ça avait commencé avec le sophisme, tout ce qui n’était pas rationnel est devenu méprisable. Tout un vocabulaire de sens, très ancien et profond, témoigne par en dessous de cette tendance.
Un certain Positivisme a par la suite non seulement ancré ce mépris au niveau institutionnel, mais il a aussi permis à ses suivants de carrément nier des portions entières de savoir non rationnels, jusqu’à transformer le contraire de la rationalité en folie (déraison). Ici est la donnée essentielle : on commence par isoler et ensuite on nie ce qui n’est pas de notre intérêt. Ici encore une métaphore classique nous vient à l’esprit « Jeter le bébé avec l’eau du bain ». Soyons clair, selon les critères de la psychologie contemporaine nous nageons en pleine pathologie, sauf qu’il ne s’agit pas ici d’une pathologie individuelle, mais collective et profondément historique. Toute la démarcation de la boîte Rationaliste est dessinée sur le déni de ce qui n’est pas elle, c’est extrêmement lisible, du moins quand on dispose d’outils de pensée. Cet immense travail de déni est un effort permanent tous azimuts et qui semble tout naturel à notre époque, pour lutter paraît-il contre « l’obscurantisme ». Des gens dévouent leur vie entière à cette tâche hautement « éducative » qui consiste assez bêtement, à nier tout ce qui n’est pas dans les publications de la Science. La problématique majeure de ces héros étant alors de résister à leurs propres affects, sans jamais se rendre compte qu’en subissant ou réprimant ces affects, ils sont eux même hors de la boîte dont ils prétendent que la périphérie correspond au tout.
Cette histoire je ne l’invente pas. Je la raconte parce que d’autres l’ont dite avant moi et pas des moindres. Ce que Nietzsche appelle le nihilisme est exactement la même chose. Et pour Max Weber c’est le Rationalisme hégémonique, c’est moi qui mets une majuscule.
La simplicité du problème indique la simplicité de la solution : il y a un remède individuel et collectif à ce problème, un seul suffit. Quand un Scientifique travaille son domaine pointu, il dit de choses comme « Je sais » ou « Je crois savoir ceci parce que ceci, parce que cela », « je déduis ceci, et j’attends la confirmation de mes pairs », etc. Ça c’est de la science, c’est parfait, il y a énormément à en dire, mais ce n’est pas le sujet, je parle de ce qui cloche, pas de ce qui va bien. Quand un scientifique dit « c’est n’importe quoi, c’est ridicule » et Dieu sait que c’est courant dès qu’on aborde certains sujets, il devrait juste remplacer sa stupide salivation pavlovienne par « Je ne sais pas » bien assumé. C’est tout. C’est pourtant simple, mais non, quand ils ne savent pas ils se mettent en colère…
Quand un Scientifique vient affirmer l’inexistence de quelque chose, même avec des affects, il a le droit. Il a le droit parce qu’il s’agit d’une opinion et que tout le monde peut avoir une opinion. Mais attention : lorsque ce Scientifique a une opinion ce ne peut pas être en tant que Scientifique, c’est un humain comme les autres. C’est un autre aspect de la solution au problème de l’hégémonie Rationaliste. La tendance à associer systématiquement le sérieux des études diplômantes au sérieux de la personne est un travers institutionnel qui dévoie la science et qui dévoie la société dans sa totalité. On appelle cela d’un point de vue légal un « abus d’autorité ». Quand un Docteur de haute lignée vient affirmer sans aucune étude à l’appui que le fait de jeûner est dangereux pour la santé, il donne son opinion, il doit le préciser, c’est un devoir rationnel, mais il ne le fait pas. Et pourtant la publication, du coup tout à fait partiale et mensongère, commence par donner ses titres de noblesse dans des domaine qui sont entièrement distincts du jeûne. Il faut dire les mots : c’est de l’escroquerie pure et simple, le pire étant que ça passe comme une lettre à la poste et que tout Scientifique ne trouvera rien à y redire. Le Docteur de l’exemple, membre éminent de l’Ordre des Médecins, apte à montrer l’exemple, peut donner l’apparence d’être tout-à-fait sincère, ce qu’il n’est pas dans cet exemple, et même est-il plutôt retors, puisqu’il a la présence d’esprit de se prononcer en tant qu’expert et non en tant que Docteur en médecine, ce qui le protège d’une attaque pour abus d’autorité, mais le trahit en même temps. De toute façon dès lors qu’il n’a pas d’étude à citer il ne fait pas de la science. Il fait de la religion.
Et voilà un des points fondamentaux où je voulais en venir et qu’il faut bien aborder avec beaucoup de détachement. La Science est une Religion de fait. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Elle n’est pas qu’une religion, nous ne parlons pas ici de ce qui va bien. C’est le fait qu’elle soit une religion que je veux montrer, car quand on s’en rend compte on voit plus clair, on voit plus loin, on voit comment faire pour la suite, pour qu’il y ait une suite. Connaître les défauts de l’autre, c’est aussi la seule façon de l’apprécier. Connaître ses propres défauts est aussi la seule manière d’évoluer. La Science est face à son histoire, qui est aussi l’histoire du monde, ses lendemains.
La boîte se rigidifie et se resserre. Une conséquence désastreuse du Positivisme est le dénigrement par d’innombrables nombreux esprits affaiblis, autant du fait de la croyance que de celui de la religion. Il n’est pas rare quand on aborde le domaine des sciences de rencontrer des gens absolument persuadés que croire en quelque chose est indigne, qu’il s’agit d’une régression ou d’une honte, d’une insulte à l’intelligence. Pourtant l’épistémologie nous rappelle que sans croyance il n’y a pas de science, ni même de Science. Pour aller droit au but, car cette réalité est facile à noyer dans de l’argumentaire bas de plafond, nous savons que toute science repose d’abord sur ce que l’on appelle des axiomes. Je ne résiste jamais à citer Wikipédia, média rigoureusement gouverné par la pensée de la boîte, quand il vient apporter la confirmation de pensées qui mènent hors la boîte. Voici donc ce que vous trouverez en moins de deux secondes :
Un axiome (en grec ancien : ἀξίωμα /axioma, « principe servant de base à une démonstration, principe évident en soi » – lui-même dérivé de άξιόω (axioô), « juger convenable, croire juste ») est une proposition non démontrée, utilisée comme fondement d’un raisonnement ou d’une théorie mathématique.
Je tends à chercher le sens des mots dans leur étymologie la plus ancienne. C’est très intéressant, parce que les hommes qui ont forgé ces sons pour communiquer un sens allaient forcément à l’essentiel, sans préjuger de tas de choses comme nous le faisons aujourd’hui avec tout l’équipement conceptuel dont nous disposons à foison. L’étymologie gratte la surface jusqu’à retrouver le génie d’hommes, de penseurs à jamais disparus de nos mémoires, inconnus de l’histoire puisque ces mots sont venus avant l’écriture elle-même. L’étymologie nous dit ici « juger convenable, croire juste », elle dit juger et croire, elle dit croire et juger, il s’agit de justesse et non pas de vérité, apanage de la rationalité, pas des sens. Dans le langage scientifique l’axiome est un énoncé répondant à trois critères fondamentaux : être évident, non démontrable et universel. En clair, l’axiome fonctionne sans qu’on sache pourquoi, mais on s’en sert. On fonde des cathédrales de pensée grâce à lui.
L’expression proposition non-démontrée signifie strictement qu’une telle proposition est non rationnelle. Point. La rationalité n’est pas le système suspendu dans le vide dont rêvent quelques spécialistes et autres experts à penser à votre place, elle trouve tout son ancrage ailleurs qu’en elle-même dans des choses qui sont tout naturellement inexplicables. J’ai lu des philosophes qui ignorent cela, se permettant l’opinion, comme convenu sous couvert de leur sérieux diplômes, que l’irrationalité n’existe pas. Je trouve ça presque flamboyant de bêtise, à moins que ce soit de mauvaise foi. Le plus choquant c’est que personne ne trouve rien à y redire.
Je vais encore une fois faire un raccourci essentiel et élémentaire : « croire ne pas croire est le fondement de la Religion Scientifique ». Et un second, son inévitable corollaire : « la Religion Scientifique est la seule religion mondiale à ne pas se reconnaître comme telle ». C’est une religion furtive, elle se cache depuis au moins cent ans, soit depuis que les mots Positivisme et Scientisme sont devenus des gros mots. Elle est pourtant la religion qui domine le monde entier illustrant à merveille l’expression bien connue qui dit « pour vivre heureux, vivons cachés ».
Il n’y a rien après la mort, pas de vie, pas de continuité, c’est le retour au néant. L’esprit est localisé dans la chimie du cerveau, et nulle part ailleurs. La mutation génétique est purement aléatoire, à aucun moment le désir ou la volonté n’interviennent dans ses processus. L’innéité n’existe pas, tout est acquis. Voici quelques lignes du volumineux bestiaire Scientiste qui n’a pas le moindre commencement de justification scientifique rigoureuse ; ce ne sont des affirmations légitimes que tant qu’elles sont données pour ce qu’elles sont : des opinions et rien de plus. Que ces opinions soient agrégées en une religion, c’est très bien, mais encore une fois, à condition que ce soit officiellement reconnu par les zélateurs. Ce n’est évidemment pas le cas. Un nombre prodigieux de sujets tourne toujours au vinaigre quand les Scientifiques y participent avec des gens normaux. La tentative initiale de prosélytisme laisse généralement vite place à l’énervement et aux procédés de langage plus ou moins honnêtes, plus ou moins maîtrisés.
Du coup, des sujets parfaitement bancals, comme la fameuse théorie de la terre plate, sont mis en exergue comme représentatifs d’un état d’esprit anti-scientifique qu’il faudrait éradiquer et deviennent des emblèmes d’une grande guerre strictement inutile. Dans le même ordre d’idée, il suffit de rappeler ce que les darwinistes se sont eux-mêmes élus leurs ennemis avec le créationnisme, rapportant toute opposition au darwinisme à un finalisme aussi étroit et buté qu’eux-mêmes sur le sujet, gommant tout à fait opportunément le « peut-être fortuite » d’un de leur plus grand héros et défendeur, Konrad Lorenz, dans son ouvrage le plus célèbre :
« Si grâce à une légère variation héréditaire, peut-être fortuite, un organe s’améliore ne serait-ce qu’à peine… » (Konrad Lorenz « L’agression » chapitre 2).
Là d’accord, ça c’est un modèle de science pour la Science. Tout tient dans ce « peut-être » qui chez la majorité des généticiens est remplacé par une certitude rigoureusement indéboulonnable : « c’est comme ça et si vous pensez le contraire c’est que vous-êtes arriérés ». Pour bien mettre les pendules à l’heure je redis les choses comme je les pense : j’admire les progrès de la génétique, j’admire cette science comme j’en admire tant d’autres. Mais je refuse d’avaler des couleuvres avec le paquet cadeau, c’est intolérable. La Science est ici pseudo-scientifique et là encore l’épistémologie saigne. J’attends à ce propos le mea-culpa proportionné des généticiens, qui doit en plus indiscutablement venir de l’évolution actuelle de la génétique vers l’épigénétique, elle qui réduit à néant les affirmations Religieuses des Scientifiques à propos du seul hasard carnotien comme facteur de l’évolution du vivant. Si cela devait arriver, alors je penserais que le monde change dans le bon sens. Mais évidemment je n’y crois pas, il n’y a pas un atome d’autocritique Scientifique. Quand l’idée de l’épigénétique sera universelle, quand les vieux mandarins seront morts ou à la retraite, cela deviendra le nouveau dogme et on enterrera discrètement l’ancien, sans cérémonie, dans la fosse commune des Vérités Scientifiques qui n’en étaient pas. En attendant, les ignorants continueront à dire que l’épigénétique c’est du charlatanisme (malgré un Nobel retentissant) et que le hasard (qui est pourtant destructeur à priori) régit toute évolution (qui est pourtant une construction à priori).
Pour revenir là-dessus, vous voyez, même si j’ai moi aussi essayé comme tout le monde d’en (dé)convertir certains, en fait j’aime bien les terreplatistes, je trouve qu’ils ont quelque chose d’extrêmement pertinent, ils sont à leur place, ils sont drôles et rafraichissants. Pour moi ils sont tout simplement le symptôme gros comme le nez au milieu de la figure de tout ce que je veux décrire ici, parce qu’ils font avec jubilation exactement ce que font les Scientifiques, affirmant avec sérieux des croyances non ouvertes à la discussion, au doute, sous couvert de vérité absolue. Plutôt que de percevoir cette mise en abime qu’ils proposent, volontairement ou pas, on préfère les bannir des réseaux sociaux. Si ton œil te montre tes défauts, crève ton œil.
Parlons de religion, donc. La pensée globale de l’époque est que la religion est néfaste. La plupart des gens pensent que croire à quelque chose revient à être en religion, donc dans l’erreur la plus grave. Je la croise souvent dans les discussions, Internet ou pas. Ce n’est pas une opinion qui est donnée calmement ou qui soit ouverte au doute ; c’est fait avec beaucoup d’agressivité, j’y ressens autant de peur que de haine. Il faut dire que la Religion Scientifique est d’une puissance folle, dans tous les sens du terme. Quand elle excommunie, c’est du sérieux. Mais avant cela, elle blesse les gens au plus profond d’eux-mêmes, depuis une position de domination vécue comme juste et naturelle et avec une cruauté sans fond qui s’autorise, pour la bonne cause, à néantiser la personne à laquelle elle s’adresse. Oui, c’est du vécu ; ce n’est pas pour rien que je commence par montrer ce qu’est la sortie de la boîte et la souffrance qu’elle représente. Et je dois ajouter que c’est du vécu dans les deux sens. Si je connais si bien ces mécanismes c’est aussi parce que je les ai utilisés moi-même parfois de façon aussi peu reluisante que je le décris ici. Bien sûr que je parle de moi ici, comme je parle de mon monde : je suis né là-dedans, je vis là-dedans, je « suis » le monde, je « suis » la Science, le proton pseudos autant que le génie, croire et comprendre, voir et savoir m’ont changé et je sais ce que peu savent : cela me changera à chaque fois. Le mécanisme est le même pour tous, c’est de comprendre ses actes qui permet de se juger soi-même, non pour se punir d’avoir fauté, mais de se changer pour cesser de fauter, du moins de cette façon-là, pour cette fois-là.
Le monde changera de tas de façons, mais une chose est sûre, quand la Science reconnaîtra sa part religieuse ça sera un bouleversement énorme et pour toujours. Elle regagnera ce qu’elle perd lamentablement chaque jour qui passe en s’identifiant de plus en plus avec la quantité d’argent qu’elle génère. Elle gagnera bien plus, elle se comprendra elle-même comme une partie d’un tout avec lequel interagir en intelligence n’est pas une option. Ses champs d’investigation déjà très nombreux bénéficieront de l’accès à des endroits aujourd’hui désaffectés par le rentabilisme. Ce sont ces endroits qui nous manquent aujourd’hui le plus gravement pour passer le cap évolutif incroyable devant lequel nous sommes placés en tant qu’espèce, trop grosse en l’état pour son habitat, trop intelligente et trop imprévoyante, apprentie en sorcellerie remplis d’un hubris démesuré gonflé par quelques succès, il est vrai retentissants. On pourrait ici, avec plusieurs grands penseurs, adopter une analogie classique pour essayer de situer ces emplacements désaffectés, celle du royaume de la quantité et de celui de la qualité, selon laquelle, obnubilés que nous sommes par la quantité, nous avons oublié de nous concentrer aussi sur la qualité. Que l’on pense à l’obsolescence programmée, à la dégradation du soin hospitalier, à la guerre d’éradication du puissant contre le faible qui a lieu à travers le monde loin de nos lunettes médiatiques, etc. Bon je n’en rajoute pas trop ici, parce que toute ma thématique repose sur les lieux de cette désaffection. En fait quand j’aurais commencé, je ne parlerais pour ainsi dire de rien d’autre que de ces contrées magnifiques ou de prestigieux anciens ont fait leurs premiers pas, même Parménide.
Mentionnons que la divinité argent qui accompagne la Science n’a pas toujours connu cette domination, car la rentabilité a d’abord ses fondements dans l’efficacité de la pensée et de la technologie. C’est l’appauvrissement intellectuel prononcé par des décennies, des siècles même, de pouvoir aveugle et en partie invisible de la Religion Scientifique qui a permis indirectement la domination exclusive du Dieu des marchands, si pauvre en idées, tout juste constitué de bouts de ferraille et de papier quand il n’est pas juste une configuration d’électrons dans des machines omniprésentes. J’ai 60 ans et je ne croyais pas en arriver là dans mon jeune temps… Toute l’idéologie standard de mon époque tient dans une seule et unique pensée tellement primitive et ridicule que tout le monde est persuadé de croire son contraire : « l’argent fait le bonheur ». Cette pensée n’est jamais dite, mais elle est pourtant désormais sans concurrence. C’est l’état des lieux ontologique, si vous avez de l’argent, vous achetez des objets futiles et très couteux, juste pour montrer que vous avez de l’argent. Si vous n’avez pas d’argent, vous jouez au Loto pour pouvoir au moins rêver que vous pourrez vous aussi acheter des objets futiles, etc.
Je ne comprends pas, je n’ai jamais compris le Christ quand il a jeté les marchands hors du temple. J’ai la sensation que c’est la grosse bourde par excellence qu’il a commise là et que l’on paye très cher aujourd’hui : ils sont revenus et ils ont tout acheté, même l’église. Détester et chasser hors de notre vue ce qui ne nous convient pas n’est pas la bonne solution, la Bible a souvent été plus pertinente et même brillante dans ses réponses aux difficultés ontologiques, comme par exemple quand Jésus répond à un bon gros piège sémantique par « Rendez à César ce qui lui appartient », son argent justement. Comment faut-il traiter avec l’argent ? Comme avec un outil : il n’est rien en soi, il est ce que l’on en fait, exactement comme un couteau qui sert à tailler du bois ou à beurrer la tartine, à moins qu’on ne se décide à tuer quelqu’un avec pour le voler ou se venger. Les marchands sont-ils tous des sales types ? Faudrait-il les détruire et reconstruire à neuf, sans eux ? Questions idiotes, n’est-ce-pas ? Ils sont une clé de l’évolution, un rouage plutôt et ils le savent, les insulter est une injustice et une bêtise. C’est l’argent qu’ils échangent contre marchandises et services qui fait toute notre croissance actuelle, même si elle est aussi outrée que précaire, elle est. C’est un profond vecteur d’évolution qui doit encore, comme le reste, s’inventer. A nous de trouver et d’appliquer, comme l’essaye joliment Muhammad Yunus avec le Social Business, des méthodes qui marchent aussi bien que la maximisation exclusiviste du profit pécuniaire, qui ne répond sans doute profondément pas à grand-chose d’autre qu’à des peurs anciennes gravées dans le roc de manquer de l’essentiel pour pouvoir continuer à vivre. Tout est ici encore question de paradigme, de boîte et de relation entre le dedans et le dehors de ladite boîte.
Je reviens à la Religion Scientifique. Ce devrait être une revendication portée haut et fort par des mouvements politiques ou d’autre type, que la Science contemporaine expose sa Religion. Comme je l’ai dit, tout son contenu est actuellement implicite et non ouvert à la discussion parce qu’il est associé par abus de position dominante à de la vraie science. Par vraie science, j’entends différents ensembles cohérents de déductions basées sur des croyances réputées universelles, même par les non-scientifiques. Il s’agit, et nous verrons que c’est là un maître mot, de dissociation. La Science doit dissocier son savoir de ses opinions, elle se le doit autant qu’elle nous le doit. Je suis intéressé par les croyances des autres, elles seront peut-être les miennes demain. Et quand elles sont répandues vraiment partout, alors elles peuvent se penser comme des sciences. Le premier effet de ce passage sera de désamorcer un nombre incalculable de conflits à son propos. La Science doit se choisir un nom religieux dont elle soit fière. Positivisme et Scientisme sont absolument cohérents pour ce rôle, mais ils ont pris une telle teinte péjorative, au point de devenir des insultes graves pour des scientifiques (essayez, vous verrez…), que leur usage paraît nettement compromis. Donc, à moins d’oser revenir à la vraie Source Religieuse de la Science en se nommant Scientisme, il faudra inventer. Elle doit aussi établir les textes de sa foi pour cesser de nous mentir sur le fondamental, sans trop avoir l’air d’y toucher : le progrès infini n’existe pas ; la Science de ne résoudra pas tout ; l’irrationnel existe, regardez l’Amour. Des textes de cet ordre sont passionnants pour qui cherche ce qui relie les choses au réel. Ils sont indispensables, ils rendraient les Scientifiques bien plus sympathiques, bien plus normaux… La religion, avec une minuscule, au sens générique du terme, c’est le doute. Quand on décide de croire à quelque chose on prend des risques, il ne faut jamais l’oublier, une religion qui n’est pas accompagnée de doute n’est déjà plus une religion, c’est une idéologie. Idéologie n’est pas ici un gros mot, elle sert, elle a du sens, mais ailleurs, après la religion.
Par défaut chacun est enrôlé en science sans jamais rien signer et pourtant d’innombrables comportements et pensées personnels seront irréductiblement balisés jusqu’à la retraite, la mort, ou le bannissement. Cela commence à la petite école et ça passe ou ça casse en première année des études supérieures où une certaine patience est parfois de mise à une ou deux reprises. Les textes qui expliquent tout cela ne sont écrits nulle part, mais pourtant tout leur sens le plus affiné est transplanté année après année par les comportements et réflexions des anciens et des maîtres. L’implicite est énorme, il doit donc y avoir une charte parfaitement explicite qui dise exactement ce que l’on attend d’un étudiant en science, et pourquoi, afin que peut-être certaines écoles puissent pour leur propre compte avoir une charte plus souple, plus irrationnelle. Où donc dans l’univers scientifico-technique peut-on étudier la notion intraduisible de Care, de soin et d’attention à l’autre ? Nulle part, car c’est irrationnel de perdre son temps à écouter des gens, évidemment puisque tout n’est que performance, individualisme au sens de Weber, compétition. Encore des sujets en enfilade que j’ouvre et referme aussi vite.
Allez, on continue. Ma proposition de déclarer officiellement la Religion Scientifique est bonne, mais elle n’est pas actionnable en soi, il ne suffit pas de le dire pour que cela arrive. On n’en est pas là. Pour le moment j’ai donné certaines clés élémentaires profondes et simples pour éclairer la situation et je voudrais en ajouter une qui est intimement liée aux autres. Il s’agit d’un comportement standard face à l’altérité.
Dans la majorité des cas, quand deux personnes sont en désaccord profond, avec jaillissement d’affects, d’un point de vue logique (je ne fais pas ici de psychologie de la colère), les deux se trompent et les deux ont raison simultanément. J’ai écrit « dans la majorité des cas » parce que je propose un raisonnement sur tous les raisonnements, quelque chose d’universel pour expliquer tout un groupe de conflits inutiles, que j’estime extrêmement répandu. Comment sais-je donc que deux personnes se trompent et ont raison alors que je ne connais pas le sujet de leur brouille ? Et bien déjà parce que comme tout un chacun j’en ai vu et vécu des centaines de fois dans ma vie et ensuite parce que je connais l’existence de différents modes de pensée innés chez l’homme.
Quand deux modes de pensée se rencontrent, s’ils ignorent l’existence et le fonctionnement de leur propre de pensée, comment feront-ils pour comprendre celui de l’autre ? Rien dans la culture ne nous prépare à cela. L’école nous forme pour un seul mode tout en stigmatisant les autres ; si vous avez de la chance, vous naissez avec le bon mode, sinon c’est que vous êtes au choix « un fainéant », « un trublion », « un âne ». Oui, je sais « ça n’existe pas cette histoire de modes de pensée innés individuels, on nait égaux et pareils, même entre femme et homme tout ça c’est des fadaises ». On en reparlera. En attendant, quand deux personnes avec une approche différente d’un même problème se rencontrent elles ne se comprennent pas. Jusque là tout va bien, je serais tenté de dire, mais ça se corse quand les deux ont la même réaction consistant à nier les arguments de l’autre : ils se trompent tous les deux, alors même qu’ils ont raison tous les deux puisqu’ils voient la même chose qu’ils décrivent de façon différente.
Pour le moment, je défriche un terrain pour y positionner mon vrai sujet. Il n’y a pas d’autre solution pour moi que d’en découdre respectueusement avec toutes les religions, même celles qui nient l’être. Les religions ne sont pas toutes égales. J’aime l’Hindou qui ôtes ses chaussures dans une mosquée, s’agenouille et prie avec les autres comme eux ; qui fait le signe de la croix avec de l’eau bénie dans une église, s’assoit et prie avec les autres comme eux. C’est ça l’œcuménisme : sa religion est à lui, mais celle des autres est respectable, il sait qu’il « parle » avec la même divinité, quelle que soit la forme de son langage. À l’autre bout du spectre, diverses Religions sont bien plus exclusivistes, je n’apprends rien à personne.
Il semblerait, et cela se vérifiera, que l’Occident ait une tournure d’esprit générique bien plus tranchée que l’esprit disons Oriental. Nous, les rationnels, aimons qu’une porte soit ouverte ou fermée. Qu’elle puisse être contre, mal fermée, verrouillée ou pas, à peine ouverte ou béante, tout ça ne semble pas retenir notre attention dans la construction d’un système. Ce n’est pas un jugement de valeur où les Orientaux seraient des gentils et nous des brutes. C’est juste factuel, ça marche comme ça et c’est bien mieux de le savoir, de l’observer, de nous observer. On ne vas pas le redire ? Si on va le redire, la première œuvre de l’individu tient à « connais-toi toi-même ».
C’est pareil pour un monde, non ?