Penser hors de la boîte

L’ex­pres­sion « penser hors de la boîte » s’est impo­sée par la publi­cité, il me semble, d’un fabri­cant hi-tech exces­si­ve­ment connu, dont les marchan­dises avaient connu un réel saut imagi­na­tif, quali­ta­tif et marke­ting, une certaine audace de concep­tion rare à ces niveaux-là du renta­bi­lisme pur.

Bien évidem­ment ni la révo­lu­tion ni l’évo­lu­tion ne sont au bout de ce chemin-là : l’idée de vendre plus que tous les autres réunis et d’en­clen­cher le cercle de l’aug­men­ta­tion des profits pécu­niaires c’est ça penser à l’in­té­rieur de la boîte, même si la campagne de publi­cité dit le contraire sans être tota­le­ment menson­gère. Visi­ble­ment ici, penser hors de la boîte se fait depuis la boîte et pour la boîte.

En atten­dant, j’aime bien l’ex­pres­sion, je la trouve utile. En deve­nant un argu­ment relui­sant du merchan­di­sing elle s’est certes montrée sous une face très dimi­nuée, mais elle n’en est pas moins là, dans l’es­prit des gens, cris­tal­li­sant de manière précise et imagée une certaine idée de ce que devrait être l’évo­lu­tion des pensées humaines en géné­ral.

C’est le plus aisé­ment en rela­tion avec la rupture tech­no­lo­gie et l’in­ves­tis­se­ment lourd que l’on peut imagi­ner sortir de la boîte et être bien vu. Et la sanc­tion qui est aussi la mesure, c’est toujours celle de l’argent, la quan­tité d’argent, deux mots parmi les plus sublimes de notre réper­toire idéo­lo­gique contem­po­rain. Quand on parle de science c’est diffé­rent, on ne sort pas de la boîte, il n’y a rien d’autre que la boîte. Il se produit chaque jour et partout dans les sciences une acti­vité fréné­tique pour défi­nir que ce qui est hors de la boîte n’existe pas. C’est para­doxal, mais l’ac­ti­vité scien­ti­fique actuelle n’en est pas à un para­doxe près. Nous verrons comme c’est facile de déli­mi­ter la boîte par la grâce de ces vertueux efforts quoti­diens de toutes ces petites mains, cette somme poin­tilliste de luttes contre l’ad­ver­sité où se détache la Science de la science en même temps que l’af­fec­ti­vité passe de percep­tible à enva­his­sante, voire meur­trière.

Je réflé­chis constam­ment pour moi-même à des problé­ma­tiques qui inté­ressent l’hu­main depuis des éter­ni­tés, c’est comme ça, c’est arrivé dans ma vie. J’aime cette réflexion, elle m’émer­veille, elle m’a choisi plus que je ne l’ai choi­sie. Par elle je me sens profon­dé­ment connecté à des amis que je ne rencon­tre­rai jamais, qui ont pensé avant moi et qui ont tout fait pour trans­for­mer ces pensées en mots, puis à les mettre sur un support physique, pour trans­mis­sion, pour plus tard.

La science n’est pas une chose que l’on acquiert spéci­fique­ment dans les écoles, c’est une acti­vité du vivant. Je fais de la science dans les pas de grands penseurs avant moi. Savoir si j’ai le droit de dire cela au début du XXIème siècle, « je fais de la science », revient à me deman­der si j’ai les diplômes suffi­sants pour penser dans la disci­pline qui est la mienne. Sinon, je suis un préten­tieux, un idiot ou un char­la­tan ou encore tout ce que vous voudrez. C’est archi-faux. « Char­la­ta­nisme », « complo­tisme », et autres appel­la­tions mépri­santes appo­sées à des êtres perçus unila­té­ra­le­ment comme incultes et sans intel­li­gence, ne sont que des garde-fous affec­tifs desti­nés à proté­ger le cœur appa­rem­ment fragile et vacillant de la Science, sinon pourquoi tant de murailles et de violence érigées face à ce qui n’est que l’al­té­rité : le fait qu’autre chose existe que soi ?

Préci­sons que la majus­cule ici employée symbo­lise la boîte, c’est parfait comme ça. Si la « science » est une acti­vité du vivant – comme l’est la science du nid chez l’oi­seau – et donc intem­po­relle en tant que telle, la « Science », elle, est l’es­prit de corps contem­po­rain de ceux qui se sont arro­gés cette acti­vité depuis quelques siècles, haute­ment tempo­relle et tempo­raire, sujette à renver­se­ments, et c’est tant mieux.

Je suis pour l’ins­tant obligé de sché­ma­ti­ser, ne mettez pas trop vite dans mes mots de l’ex­tré­misme ou du simplisme. Je ne suis pas dispensé par miracle de ce que je décris chez les autres, l’af­fec­ti­visme. La diffé­rence est que je ne le nie pas, je le vis, j’es­saye. Je suis un être vivant depuis toujours et pour toujours dans la boîte, par la boîte et pour la boîte. Je suis « pour » la boîte quand je la critique, préci­sé­ment quand je la critique. Elle doit gran­dir et gran­dir c’est d’abord recon­naître ses erre­ments. Il y a du boulot.

Notre Science commence aux philo­sophes grecs, s’ancre puis­sam­ment avec la période Descartes/Lumières et devient folle avec le Posi­ti­visme/Scien­tisme. Elle s’en rend compte ensuite et se contente de bannir l’ap­pel­la­tion reli­gieuse (Scien­tiste), mais sans le moins du monde en renier la signi­fi­ca­tion profonde : la Science seule peut tout. Dans les faits, la majo­rité des Scien­ti­fiques est factuel­le­ment posi­ti­viste ; ils seront vexés si on le leur dit, mais toute leur pensée onto­lo­gique le crie dès qu’ils ont l’oc­ca­sion de l’ex­pri­mer. La philo­so­phie propose à cela un remède plutôt discret, mais quand même, qui se nomme l’épis­té­mo­lo­gie, à défaut de méta­phy­sique. C’est déjà pas mal, mais c’est très tech­nique et assez facile à esqui­ver quand on est étudiant de première année, seul moment du cursus où elle est ensei­gnée. Et c’est fort dommage, parce que l’épis­té­mo­lo­gie permet d’évi­ter des posi­tion­ne­ments assez stupides, comme de penser prou­ver l’inexis­tence d’une chose avec une seule expé­rience néga­tive. C’est une science en pleine évolu­tion qui a déjà débou­lonné de hautes certi­tudes quant à l’in­failli­bi­lité de la Science, le dommage étant qu’elle ne s’en est pas encore rendue compte. On ne contourne pas Kuhn, mais il reste à la marge « ce n’est pas ma disci­pline ».

De toute façon la Science ne se rend pas compte de grand-chose hors ses murs. La révo­lu­tion de la physique quan­tique n’a appa­rem­ment pas encore effleuré, cent ans après, ni la méde­cine ni la biolo­gie. On peut en dire autant de certain de ses propres déve­lop­pe­ments plus ou moins récents qui semblent tous tomber soit dans une zone aveugle, soit dans une zone scan­da­leuse, là où des cher­cheurs parfois honnêtes vont souf­frir.

Encore une fois je sché­ma­tise, il y a dans la Science des tas de gens qui pensent hors de la boîte, des tas de gens qui ont une forme de conscience ou une autre de ce que je dis ici et que je suis loin d’être le seul à penser, des gens qui rusent pour ne pas se faire ostra­ci­ser, qui font semblant de croire dans les dogmes de la Science et qui poussent la boîte à s’agran­dir malgré elle, malgré la grande force d’uni­for­mi­sa­tion régres­sive présente qui la carac­té­rise de mieux en mieux, jusqu’à la cari­ca­ture. La quan­tité d’argent là aussi est devenu l’unique repère, il n’y plus la moindre expli­ca­tion du monde, juste la quête du contrôle que recouvre ce mot renversé « objec­ti­vité ». Et si la Science avance encore malgré tout, c’est par la grâce de ses dissi­dents secrets, tant qu’il en reste, car c’est ceux-là même qu’elle s’amé­liore à chas­ser et à détruire chaque jour de mieux en mieux. La maxime qui dit le mieux, même indi­rec­te­ment, ce que fait ici la Science est celui-ci : « le diplôme n’est pas une preuve d’in­tel­li­gence, c’est une preuve de doci­lité ». La doci­lité est le contraire de ce qui permet la décou­verte, il faut de l’au­dace pour cela et aussi une certaine fantai­sie.

Cette surpuis­sance du milieu Scien­ti­fique à s’auto-détruire incons­ciem­ment (et notre monde par la même occa­sion) est juste l’état actuel des choses. Les para­digmes changent, les axes nouveaux de pensée jaillissent de partout, mais une pensée domi­nante, puis­sante et pétri­fiée vient inlas­sa­ble­ment assé­ner ses juge­ments de valeurs mépri­sants comme fin de non-rece­voir.

C’est assez triste à voir comme à vivre. Nous y revien­drons évidem­ment, puisque c’est le cœur du problème de notre dange­reuse époque. Le Poli­tique est amarré à la Science, la gestion des états de même, les mêmes erreurs premières sont érigées en véri­tés incon­tes­tables. La spiri­tua­lité est dégom­mée de partout pour se retrou­ver basse­ment exploi­tée à faire la pub ou des films de bas de gamme, suppo­sés influen­cer les gens à faire les bons choix selon le fameux acro­nyme : TINA, « there is no alter­na­tive », il n’y a pas d’al­ter­na­tive que ce que nous disons, voilà pour le choix, le choix contem­po­rain de croi­re…

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Je situe le commen­ce­ment symbo­lique de toute cette aven­ture extra­or­di­naire à Parmé­nide, géant de la pensée grecque, maître avant Socrate, lui-même maître avant Platon, qui fut maître avant Aris­tote. L’aven­ture se nomme « la conquête de la ratio­na­lité », elle est prodi­gieuse et épique, boule­ver­sante et magni­fique. Elle conti­nue et perpé­tue l’aven­ture humaine, qui connut avant elle la posi­tion debout, la parole, l’écri­ture, etc. Nous sommes témoins de l’une de ses inflexions majeures : deve­nue trop puis­sante elle dépasse sa créa­ture : nous devons chan­ger quelque chose. La para­bole de l’ap­prenti sorcier à toute sa perti­nence ici, à l’ex­cep­tion du fait qu’à la fin de l’his­toire le maître revient et remet tout en place… Dans le monde réel il n’y a pas de maître magique qui revien­dra tout corri­ger, il n’y a que nous, qui devons, en tant que civi­li­sa­tion plané­taire, deve­nir ce maître. C’est un fait souvent cité que la tech­no­lo­gie et la science ont dépassé nos capa­ci­tés à les gérer, que ce sont elles qui nous instru­mentent. Je pense que c’est vrai. L’aven­ture ratio­na­liste s’est bâtie depuis Parmé­nide sur un déni.

Non, la ratio­na­lité n’est pas un sommet qu’il faudrait atteindre après avoir jeté tout le reste. C’est un mode de pensée parmi d’autres, qui a ses spéci­fi­ci­tés, ses forces et ses faiblesses. Si vous refu­sez cette affir­ma­tion (un mode de pensée parmi d’autres), et que votre cœur se met à battre plus vite et que votre cerveau s’em­balle, alors vous êtes proba­ble­ment noyé dans le piège cogni­tif qu’a mani­gancé un penseur de génie (Parmé­nide) pour se débar­ras­ser d’un adver­saire redou­table (Héra­clite). Le piège que j’évoque n’est histo­rique­ment pas sépa­rable de ce qui a fait et fait encore toute la gran­deur de la ratio­na­lité. Je le résume sans doute au lance-pierre, mais sans rien trahir.

L’émer­gence de la Ratio­na­lité en tant que mouve­ment coïn­cide avec la prise de conscience de son exis­tence en tant que fait : ratio­na­lité avec une minus­cule, donc. L’ac­ti­vité natu­relle qui l’a vue naître et fait vivre ensuite pour long­temps, se nomme sagesse, vrai­ment. La ratio­na­lité exis­tait avant, de toute évidence, puisqu’il s’agit d’un mode d’être du vivant, le calcul, mais elle s’est vue extir­pée par la pensée de la gangue alors indif­fé­ren­ciée des diffé­rents modes de penser. Sa force a ébloui, éblouit encore et c’est là que s’est glissé un problème d’abord mineur, mais consti­tu­tif, ce que les grecs appe­laient un proton-pseu­dos, soit une très mince erreur initiale, qui prend avec le temps des propor­tions gigan­tesques. L’er­reur je vais l’écrire juste main­te­nant. Elle est d’une portée incal­cu­lable qui donne litté­ra­le­ment l’in­vi­sible (appa­rem­ment) solu­tion.

La pensée ration­nelle a commencé par extraire certains des fonc­tion­ne­ments de la pensée qui l’in­té­res­saient et à s’y concen­trer. Parfaite démarche de type scien­ti­fique élevé qui consiste à concen­trer son atten­tion sur un sujet donné, donc en refu­sant tout net d’abor­der d’autres sujets. Jusque là tout va bien, mais bien sûr il y a un mais et tout est là : petit à petit, ça avait commencé avec le sophisme, tout ce qui n’était pas ration­nel est devenu mépri­sable. Tout un voca­bu­laire de sens, très ancien et profond, témoigne par en dessous de cette tendance.

Un certain Posi­ti­visme a par la suite non seule­ment ancré ce mépris au niveau insti­tu­tion­nel, mais il a aussi permis à ses suivants de carré­ment nier des portions entières de savoir non ration­nels, jusqu’à trans­for­mer le contraire de la ratio­na­lité en folie (dérai­son). Ici est la donnée essen­tielle : on commence par isoler et ensuite on nie ce qui n’est pas de notre inté­rêt. Ici encore une méta­phore clas­sique nous vient à l’es­prit « Jeter le bébé avec l’eau du bain ». Soyons clair, selon les critères de la psycho­lo­gie contem­po­raine nous nageons en pleine patho­lo­gie, sauf qu’il ne s’agit pas ici d’une patho­lo­gie indi­vi­duelle, mais collec­tive et profon­dé­ment histo­rique. Toute la démar­ca­tion de la boîte Ratio­na­liste est dessi­née sur le déni de ce qui n’est pas elle, c’est extrê­me­ment lisible, du moins quand on dispose d’ou­tils de pensée. Cet immense travail de déni est un effort perma­nent tous azimuts et qui semble tout natu­rel à notre époque, pour lutter paraît-il contre « l’obs­cu­ran­tisme ». Des gens dévouent leur vie entière à cette tâche haute­ment « éduca­tive » qui consiste assez bête­ment, à nier tout ce qui n’est pas dans les publi­ca­tions de la Science. La problé­ma­tique majeure de ces héros étant alors de résis­ter à leurs propres affects, sans jamais se rendre compte qu’en subis­sant ou répri­mant ces affects, ils sont eux même hors de la boîte dont ils prétendent que la péri­phé­rie corres­pond au tout.

Cette histoire je ne l’in­vente pas. Je la raconte parce que d’autres l’ont dite avant moi et pas des moindres. Ce que Nietzsche appelle le nihi­lisme est exac­te­ment la même chose. Et pour Max Weber c’est le Ratio­na­lisme hégé­mo­nique, c’est moi qui mets une majus­cule.

La simpli­cité du problème indique la simpli­cité de la solu­tion : il y a un remède indi­vi­duel et collec­tif à ce problème, un seul suffit. Quand un Scien­ti­fique travaille son domaine pointu, il dit de choses comme « Je sais » ou « Je crois savoir ceci parce que ceci, parce que cela », « je déduis ceci, et j’at­tends la confir­ma­tion de mes pairs », etc. Ça c’est de la science, c’est parfait, il y a énor­mé­ment à en dire, mais ce n’est pas le sujet, je parle de ce qui cloche, pas de ce qui va bien. Quand un scien­ti­fique dit « c’est n’im­porte quoi, c’est ridi­cule » et Dieu sait que c’est courant dès qu’on aborde certains sujets, il devrait juste rempla­cer sa stupide sali­va­tion pavlo­vienne par « Je ne sais pas » bien assumé. C’est tout. C’est pour­tant simple, mais non, quand ils ne savent pas ils se mettent en colè­re…

Quand un Scien­ti­fique vient affir­mer l’inexis­tence de quelque chose, même avec des affects, il a le droit. Il a le droit parce qu’il s’agit d’une opinion et que tout le monde peut avoir une opinion. Mais atten­tion : lorsque ce Scien­ti­fique a une opinion ce ne peut pas être en tant que Scien­ti­fique, c’est un humain comme les autres. C’est un autre aspect de la solu­tion au problème de l’hé­gé­mo­nie Ratio­na­liste. La tendance à asso­cier systé­ma­tique­ment le sérieux des études diplô­mantes au sérieux de la personne est un travers insti­tu­tion­nel qui dévoie la science et qui dévoie la société dans sa tota­lité. On appelle cela d’un point de vue légal un « abus d’au­to­rité ». Quand un Docteur de haute lignée vient affir­mer sans aucune étude à l’ap­pui que le fait de jeûner est dange­reux pour la santé, il donne son opinion, il doit le préci­ser, c’est un devoir ration­nel, mais il ne le fait pas. Et pour­tant la publi­ca­tion, du coup tout à fait partiale et menson­gère, commence par donner ses titres de noblesse dans des domaine qui sont entiè­re­ment distincts du jeûne. Il faut dire les mots : c’est de l’es­croque­rie pure et simple, le pire étant que ça passe comme une lettre à la poste et que tout Scien­ti­fique ne trou­vera rien à y redire. Le Docteur de l’exemple, membre éminent de l’Ordre des Méde­cins, apte à montrer l’exemple, peut donner l’ap­pa­rence d’être tout-à-fait sincère, ce qu’il n’est pas dans cet exemple, et même est-il plutôt retors, puisqu’il a la présence d’es­prit de se pronon­cer en tant qu’ex­pert et non en tant que Docteur en méde­cine, ce qui le protège d’une attaque pour abus d’au­to­rité, mais le trahit en même temps. De toute façon dès lors qu’il n’a pas d’étude à citer il ne fait pas de la science. Il fait de la reli­gion.

Et voilà un des points fonda­men­taux où je voulais en venir et qu’il faut bien abor­der avec beau­coup de déta­che­ment. La Science est une Reli­gion de fait. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Elle n’est pas qu’une reli­gion, nous ne parlons pas ici de ce qui va bien. C’est le fait qu’elle soit une reli­gion que je veux montrer, car quand on s’en rend compte on voit plus clair, on voit plus loin, on voit comment faire pour la suite, pour qu’il y ait une suite. Connaître les défauts de l’autre, c’est aussi la seule façon de l’ap­pré­cier. Connaître ses propres défauts est aussi la seule manière d’évo­luer. La Science est face à son histoire, qui est aussi l’his­toire du monde, ses lende­mains.

La boîte se rigi­di­fie et se resserre. Une consé­quence désas­treuse du Posi­ti­visme est le déni­gre­ment par d’in­nom­brables nombreux esprits affai­blis, autant du fait de la croyance que de celui de la reli­gion. Il n’est pas rare quand on aborde le domaine des sciences de rencon­trer des gens abso­lu­ment persua­dés que croire en quelque chose est indigne, qu’il s’agit d’une régres­sion ou d’une honte, d’une insulte à l’in­tel­li­gence. Pour­tant l’épis­té­mo­lo­gie nous rappelle que sans croyance il n’y a pas de science, ni même de Science. Pour aller droit au but, car cette réalité est facile à noyer dans de l’ar­gu­men­taire bas de plafond, nous savons que toute science repose d’abord sur ce que l’on appelle des axiomes. Je ne résiste jamais à citer Wiki­pé­dia, média rigou­reu­se­ment gouverné par la pensée de la boîte, quand il vient appor­ter la confir­ma­tion de pensées qui mènent hors la boîte. Voici donc ce que vous trou­ve­rez en moins de deux secondes :

Un axiome (en grec ancien : ἀξίωμα /axioma, « prin­cipe servant de base à une démons­tra­tion, prin­cipe évident en soi » – lui-même dérivé de άξιόω (axioô), « juger conve­nable, croire juste ») est une propo­si­tion non démon­trée, utili­sée comme fonde­ment d’un raison­ne­ment ou d’une théo­rie mathé­ma­tique.

Je tends à cher­cher le sens des mots dans leur étymo­lo­gie la plus ancienne. C’est très inté­res­sant, parce que les hommes qui ont forgé ces sons pour commu­niquer un sens allaient forcé­ment à l’es­sen­tiel, sans préju­ger de tas de choses comme nous le faisons aujourd’­hui avec tout l’équi­pe­ment concep­tuel dont nous dispo­sons à foison. L’éty­mo­lo­gie gratte la surface jusqu’à retrou­ver le génie d’hommes, de penseurs à jamais dispa­rus de nos mémoires, incon­nus de l’his­toire puisque ces mots sont venus avant l’écri­ture elle-même.  L’éty­mo­lo­gie nous dit ici « juger conve­nable, croire juste », elle dit juger et croire, elle dit croire et juger, il s’agit de justesse et non pas de vérité, apanage de la ratio­na­lité, pas des sens. Dans le langage scien­ti­fique l’axiome est un énoncé répon­dant à trois critères fonda­men­taux : être évident, non démon­trable et univer­sel. En clair, l’axiome fonc­tionne sans qu’on sache pourquoi, mais on s’en sert. On fonde des cathé­drales de pensée grâce à lui.

L’ex­pres­sion propo­si­tion non-démon­trée signi­fie stric­te­ment qu’une telle propo­si­tion est non ration­nelle. Point. La ratio­na­lité n’est pas le système suspendu dans le vide dont rêvent quelques spécia­listes et autres experts à penser à votre place, elle trouve tout son ancrage ailleurs qu’en elle-même dans des choses qui sont tout natu­rel­le­ment inex­pli­cables. J’ai lu des philo­sophes qui ignorent cela, se permet­tant l’opi­nion, comme convenu sous couvert de leur sérieux diplômes, que l’ir­ra­tio­na­lité n’existe pas. Je trouve ça presque flam­boyant de bêtise, à moins que ce soit de mauvaise foi. Le plus choquant c’est que personne ne trouve rien à y redire.

Je vais encore une fois faire un raccourci essen­tiel et élémen­taire : « croire ne pas croire est le fonde­ment de la Reli­gion Scien­ti­fique ». Et un second, son inévi­table corol­laire : « la Reli­gion Scien­ti­fique est la seule reli­gion mondiale à ne pas se recon­naître comme telle ». C’est une reli­gion furtive, elle se cache depuis au moins cent ans, soit depuis que les mots Posi­ti­visme et Scien­tisme sont deve­nus des gros mots. Elle est pour­tant la reli­gion qui domine le monde entier illus­trant à merveille l’ex­pres­sion bien connue qui dit « pour vivre heureux, vivons cachés ».

Il n’y a rien après la mort, pas de vie, pas de conti­nuité, c’est le retour au néant. L’es­prit est loca­lisé dans la chimie du cerveau, et nulle part ailleurs. La muta­tion géné­tique est pure­ment aléa­toire, à aucun moment le désir ou la volonté n’in­ter­viennent dans ses proces­sus. L’in­néité n’existe pas, tout est acquis. Voici quelques lignes du volu­mi­neux bestiaire Scien­tiste qui n’a pas le moindre commen­ce­ment de justi­fi­ca­tion scien­ti­fique rigou­reuse ; ce ne sont des affir­ma­tions légi­times que tant qu’elles sont données pour ce qu’elles sont : des opinions et rien de plus. Que ces opinions soient agré­gées en une reli­gion, c’est très bien, mais encore une fois, à condi­tion que ce soit offi­ciel­le­ment reconnu par les zéla­teurs. Ce n’est évidem­ment pas le cas. Un nombre prodi­gieux de sujets tourne toujours au vinaigre quand les Scien­ti­fiques y parti­cipent avec des gens normaux. La tenta­tive initiale de prosé­ly­tisme laisse géné­ra­le­ment vite place à l’éner­ve­ment et aux procé­dés de langage plus ou moins honnêtes, plus ou moins maîtri­sés.

Du coup, des sujets parfai­te­ment bancals, comme la fameuse théo­rie de la terre plate, sont mis en exergue comme repré­sen­ta­tifs d’un état d’es­prit anti-scien­ti­fique qu’il faudrait éradiquer et deviennent des emblèmes d’une grande guerre stric­te­ment inutile. Dans le même ordre d’idée, il suffit de rappe­ler ce que les darwi­nistes se sont eux-mêmes élus leurs enne­mis avec le créa­tion­nisme, rappor­tant toute oppo­si­tion au darwi­nisme à un fina­lisme aussi étroit et buté qu’eux-mêmes sur le sujet, gommant tout à fait oppor­tu­né­ment le « peut-être fortuite » d’un de leur plus grand héros et défen­deur, Konrad Lorenz, dans son ouvrage le plus célèbre :

« Si grâce à une légère varia­tion héré­di­taire, peut-être fortuite, un organe s’amé­liore ne serait-ce qu’à peine… » (Konrad Lorenz « L’agres­sion » chapitre 2).

Là d’ac­cord, ça c’est un modèle de science pour la Science. Tout tient dans ce « peut-être » qui chez la majo­rité des géné­ti­ciens est remplacé par une certi­tude rigou­reu­se­ment indé­bou­lon­nable : « c’est comme ça et si vous pensez le contraire c’est que vous-êtes arrié­rés ». Pour bien mettre les pendules à l’heure je redis les choses comme je les pense : j’ad­mire les progrès de la géné­tique, j’ad­mire cette science comme j’en admire tant d’autres. Mais je refuse d’ava­ler des couleuvres avec le paquet cadeau, c’est into­lé­rable. La Science est ici pseudo-scien­ti­fique et là encore l’épis­té­mo­lo­gie saigne. J’at­tends à ce propos le mea-culpa propor­tionné des géné­ti­ciens, qui doit en plus indis­cu­ta­ble­ment venir de l’évo­lu­tion actuelle de la géné­tique vers l’épi­gé­né­tique, elle qui réduit à néant les affir­ma­tions Reli­gieuses des Scien­ti­fiques à propos du seul hasard carno­tien comme facteur de l’évo­lu­tion du vivant. Si cela devait arri­ver, alors je pense­rais que le monde change dans le bon sens. Mais évidem­ment je n’y crois pas, il n’y a pas un atome d’au­to­cri­tique Scien­ti­fique. Quand l’idée de l’épi­gé­né­tique sera univer­selle, quand les vieux manda­rins seront morts ou à la retraite, cela devien­dra le nouveau dogme et on enter­rera discrè­te­ment l’an­cien, sans céré­mo­nie, dans la fosse commune des Véri­tés Scien­ti­fiques qui n’en étaient pas. En atten­dant, les igno­rants conti­nue­ront à dire que l’épi­gé­né­tique c’est du char­la­ta­nisme (malgré un Nobel reten­tis­sant) et que le hasard (qui est pour­tant destruc­teur à priori) régit toute évolu­tion (qui est pour­tant une construc­tion à priori).

Pour reve­nir là-dessus, vous voyez, même si j’ai moi aussi essayé comme tout le monde d’en (dé)conver­tir certains, en fait j’aime bien les terre­pla­tistes, je trouve qu’ils ont quelque chose d’ex­trê­me­ment perti­nent, ils sont à leur place, ils sont drôles et rafrai­chis­sants. Pour moi ils sont tout simple­ment le symp­tôme gros comme le nez au milieu de la figure de tout ce que je veux décrire ici, parce qu’ils font avec jubi­la­tion exac­te­ment ce que font les Scien­ti­fiques, affir­mant avec sérieux des croyances non ouvertes à la discus­sion, au doute, sous couvert de vérité abso­lue. Plutôt que de perce­voir cette mise en abime qu’ils proposent, volon­tai­re­ment ou pas, on préfère les bannir des réseaux sociaux. Si ton œil te montre tes défauts, crève ton œil.

Parlons de reli­gion, donc. La pensée globale de l’époque est que la reli­gion est néfaste. La plupart des gens pensent que croire à quelque chose revient à être en reli­gion, donc dans l’er­reur la plus grave. Je la croise souvent dans les discus­sions, Inter­net ou pas. Ce n’est pas une opinion qui est donnée calme­ment ou qui soit ouverte au doute ; c’est fait avec beau­coup d’agres­si­vité, j’y ressens autant de peur que de haine. Il faut dire que la Reli­gion Scien­ti­fique est d’une puis­sance folle, dans tous les sens du terme. Quand elle excom­mu­nie, c’est du sérieux. Mais avant cela, elle blesse les gens au plus profond d’eux-mêmes, depuis une posi­tion de domi­na­tion vécue comme juste et natu­relle et avec une cruauté sans fond qui s’au­to­rise, pour la bonne cause, à néan­ti­ser la personne à laquelle elle s’adresse. Oui, c’est du vécu ; ce n’est pas pour rien que je commence par montrer ce qu’est la sortie de la boîte et la souf­france qu’elle repré­sente. Et je dois ajou­ter que c’est du vécu dans les deux sens. Si je connais si bien ces méca­nismes c’est aussi parce que je les ai utili­sés moi-même parfois de façon aussi peu relui­sante que je le décris ici. Bien sûr que je parle de moi ici, comme je parle de mon monde : je suis né là-dedans, je vis là-dedans, je « suis » le monde, je « suis » la Science, le proton pseu­dos autant que le génie, croire et comprendre, voir et savoir m’ont changé et je sais ce que peu savent : cela me chan­gera à chaque fois. Le méca­nisme est le même pour tous, c’est de comprendre ses actes qui permet de se juger soi-même, non pour se punir d’avoir fauté, mais de se chan­ger pour cesser de fauter, du moins de cette façon-là, pour cette fois-là.

Le monde chan­gera de tas de façons, mais une chose est sûre, quand la Science recon­naî­tra sa part reli­gieuse ça sera un boule­ver­se­ment énorme et pour toujours. Elle rega­gnera ce qu’elle perd lamen­ta­ble­ment chaque jour qui passe en s’iden­ti­fiant de plus en plus avec la quan­tité d’argent qu’elle génère. Elle gagnera bien plus, elle se compren­dra elle-même comme une partie d’un tout avec lequel inter­agir en intel­li­gence n’est pas une option. Ses champs d’in­ves­ti­ga­tion déjà très nombreux béné­fi­cie­ront de l’ac­cès à des endroits aujourd’­hui désaf­fec­tés par le renta­bi­lisme. Ce sont ces endroits qui nous manquent aujourd’­hui le plus grave­ment pour passer le cap évolu­tif incroyable devant lequel nous sommes placés en tant qu’es­pèce, trop grosse en l’état pour son habi­tat, trop intel­li­gente et trop impré­voyante, appren­tie en sorcel­le­rie remplis d’un hubris déme­suré gonflé par quelques succès, il est vrai reten­tis­sants. On pour­rait ici, avec plusieurs grands penseurs, adop­ter une analo­gie clas­sique pour essayer de situer ces empla­ce­ments désaf­fec­tés, celle du royaume de la quan­tité et de celui de la qualité, selon laquelle, obnu­bi­lés que nous sommes par la quan­tité, nous avons oublié de nous concen­trer aussi sur la qualité. Que l’on pense à l’ob­so­les­cence program­mée, à la dégra­da­tion du soin hospi­ta­lier, à la guerre d’éra­di­ca­tion du puis­sant contre le faible qui a lieu à travers le monde loin de nos lunettes média­tiques, etc. Bon je n’en rajoute pas trop ici, parce que toute ma théma­tique repose sur les lieux de cette désaf­fec­tion. En fait quand j’au­rais commencé, je ne parle­rais pour ainsi dire de rien d’autre que de ces contrées magni­fiques ou de pres­ti­gieux anciens ont fait leurs premiers pas, même Parmé­nide.

Mention­nons que la divi­nité argent qui accom­pagne la Science n’a pas toujours connu cette domi­na­tion, car la renta­bi­lité a d’abord ses fonde­ments dans l’ef­fi­ca­cité de la pensée et de la tech­no­lo­gie. C’est l’ap­pau­vris­se­ment intel­lec­tuel prononcé par des décen­nies, des siècles même, de pouvoir aveugle et en partie invi­sible de la Reli­gion Scien­ti­fique qui a permis indi­rec­te­ment la domi­na­tion exclu­sive du Dieu des marchands, si pauvre en idées, tout juste consti­tué de bouts de ferraille et de papier quand il n’est pas juste une confi­gu­ra­tion d’élec­trons dans des machines omni­pré­sentes. J’ai 60 ans et je ne croyais pas en arri­ver là dans mon jeune temps… Toute l’idéo­lo­gie stan­dard de mon époque tient dans une seule et unique pensée telle­ment primi­tive et ridi­cule que tout le monde est persuadé de croire son contraire : « l’argent fait le bonheur ». Cette pensée n’est jamais dite, mais elle est pour­tant désor­mais sans concur­rence. C’est l’état des lieux onto­lo­gique, si vous avez de l’argent, vous ache­tez des objets futiles et très couteux, juste pour montrer que vous avez de l’argent. Si vous n’avez pas d’argent, vous jouez au Loto pour pouvoir au moins rêver que vous pour­rez vous aussi ache­ter des objets futiles, etc.

Je ne comprends pas, je n’ai jamais compris le Christ quand il a jeté les marchands hors du temple. J’ai la sensa­tion que c’est la grosse bourde par excel­lence qu’il a commise là et que l’on paye très cher aujourd’­hui : ils sont reve­nus et ils ont tout acheté, même l’église. Détes­ter et chas­ser hors de notre vue ce qui ne nous convient pas n’est pas la bonne solu­tion, la Bible a souvent été plus perti­nente et même brillante dans ses réponses aux diffi­cul­tés onto­lo­giques, comme par exemple quand Jésus répond à un bon gros piège séman­tique par « Rendez à César ce qui lui appar­tient », son argent juste­ment. Comment faut-il trai­ter avec l’argent ? Comme avec un outil : il n’est rien en soi, il est ce que l’on en fait, exac­te­ment comme un couteau qui sert à tailler du bois ou à beur­rer la tartine, à moins qu’on ne se décide à tuer quelqu’un avec pour le voler ou se venger. Les marchands sont-ils tous des sales types ? Faudrait-il les détruire et recons­truire à neuf, sans eux ? Ques­tions idiotes, n’est-ce-pas ? Ils sont une clé de l’évo­lu­tion, un rouage plutôt et ils le savent, les insul­ter est une injus­tice et une bêtise. C’est l’argent qu’ils échangent contre marchan­dises et services qui fait toute notre crois­sance actuelle, même si elle est aussi outrée que précaire, elle est. C’est un profond vecteur d’évo­lu­tion qui doit encore, comme le reste, s’in­ven­ter. A nous de trou­ver et d’ap­pliquer, comme l’es­saye joli­ment Muham­mad Yunus avec le Social Busi­ness, des méthodes qui marchent aussi bien que la maxi­mi­sa­tion exclu­si­viste du profit pécu­niaire, qui ne répond sans doute profon­dé­ment pas à grand-chose d’autre qu’à des peurs anciennes gravées dans le roc de manquer de l’es­sen­tiel pour pouvoir conti­nuer à vivre. Tout est ici encore ques­tion de para­digme, de boîte et de rela­tion entre le dedans et le dehors de ladite boîte.

Je reviens à la Reli­gion Scien­ti­fique. Ce devrait être une reven­di­ca­tion portée haut et fort par des mouve­ments poli­tiques ou d’autre type, que la Science contem­po­raine expose sa Reli­gion. Comme je l’ai dit, tout son contenu est actuel­le­ment impli­cite et non ouvert à la discus­sion parce qu’il est asso­cié par abus de posi­tion domi­nante à de la vraie science. Par vraie science, j’en­tends diffé­rents ensembles cohé­rents de déduc­tions basées sur des croyances répu­tées univer­selles, même par les non-scien­ti­fiques. Il s’agit, et nous verrons que c’est là un maître mot, de disso­cia­tion. La Science doit disso­cier son savoir de ses opinions, elle se le doit autant qu’elle nous le doit. Je suis inté­ressé par les croyances des autres, elles seront peut-être les miennes demain. Et quand elles sont répan­dues vrai­ment partout, alors elles peuvent se penser comme des sciences. Le premier effet de ce passage sera de désa­mor­cer un nombre incal­cu­lable de conflits à son propos. La Science doit se choi­sir un nom reli­gieux dont elle soit fière. Posi­ti­visme et Scien­tisme sont abso­lu­ment cohé­rents pour ce rôle, mais ils ont pris une telle teinte péjo­ra­tive, au point de deve­nir des insultes graves pour des scien­ti­fiques (essayez, vous verrez…), que leur usage paraît nette­ment compro­mis. Donc, à moins d’oser reve­nir à la vraie Source Reli­gieuse de la Science en se nommant Scien­tisme, il faudra inven­ter. Elle doit aussi établir les textes de sa foi pour cesser de nous mentir sur le fonda­men­tal, sans trop avoir l’air d’y toucher : le progrès infini n’existe pas ; la Science de ne résou­dra pas tout ; l’ir­ra­tion­nel existe, regar­dez l’Amour. Des textes de cet ordre sont passion­nants pour qui cherche ce qui relie les choses au réel. Ils sont indis­pen­sables, ils rendraient les Scien­ti­fiques bien plus sympa­thiques, bien plus normaux… La reli­gion, avec une minus­cule, au sens géné­rique du terme, c’est le doute. Quand on décide de croire à quelque chose on prend des risques, il ne faut jamais l’ou­blier, une reli­gion qui n’est pas accom­pa­gnée de doute n’est déjà plus une reli­gion, c’est une idéo­lo­gie. Idéo­lo­gie n’est pas ici un gros mot, elle sert, elle a du sens, mais ailleurs, après la reli­gion.

Par défaut chacun est enrôlé en science sans jamais rien signer et pour­tant d’in­nom­brables compor­te­ments et pensées person­nels seront irré­duc­ti­ble­ment bali­sés jusqu’à la retraite, la mort, ou le bannis­se­ment. Cela commence à la petite école et ça passe ou ça casse en première année des études supé­rieures où une certaine patience est parfois de mise à une ou deux reprises. Les textes qui expliquent tout cela ne sont écrits nulle part, mais pour­tant tout leur sens le plus affiné est trans­planté année après année par les compor­te­ments et réflexions des anciens et des maîtres. L’im­pli­cite est énorme, il doit donc y avoir une charte parfai­te­ment expli­cite qui dise exac­te­ment ce que l’on attend d’un étudiant en science, et pourquoi, afin que peut-être certaines écoles puissent pour leur propre compte avoir une charte plus souple, plus irra­tion­nelle. Où donc dans l’uni­vers scien­ti­fico-tech­nique peut-on étudier la notion intra­dui­sible de Care, de soin et d’at­ten­tion à l’autre ? Nulle part, car c’est irra­tion­nel de perdre son temps à écou­ter des gens, évidem­ment puisque tout n’est que perfor­mance, indi­vi­dua­lisme au sens de Weber, compé­ti­tion.  Encore des sujets en enfi­lade que j’ouvre et referme aussi vite.

Allez, on conti­nue. Ma propo­si­tion de décla­rer offi­ciel­le­ment la Reli­gion Scien­ti­fique est bonne, mais elle n’est pas action­nable en soi, il ne suffit pas de le dire pour que cela arrive. On n’en est pas là. Pour le moment j’ai donné certaines clés élémen­taires profondes et simples pour éclai­rer la situa­tion et je voudrais en ajou­ter une qui est inti­me­ment liée aux autres. Il s’agit d’un compor­te­ment stan­dard face à l’al­té­rité.

Dans la majo­rité des cas, quand deux personnes sont en désac­cord profond, avec jaillis­se­ment d’af­fects, d’un point de vue logique (je ne fais pas ici de psycho­lo­gie de la colère), les deux se trompent et les deux ont raison simul­ta­né­ment. J’ai écrit « dans la majo­rité des cas » parce que je propose un raison­ne­ment sur tous les raison­ne­ments, quelque chose d’uni­ver­sel pour expliquer tout un groupe de conflits inutiles, que j’es­time extrê­me­ment répandu. Comment sais-je donc que deux personnes se trompent et ont raison alors que je ne connais pas le sujet de leur brouille ? Et bien déjà parce que comme tout un chacun j’en ai vu et vécu des centaines de fois dans ma vie et ensuite parce que je connais l’exis­tence de diffé­rents modes de pensée innés chez l’homme.

Quand deux modes de pensée se rencontrent, s’ils ignorent l’exis­tence et le fonc­tion­ne­ment de leur propre de pensée, comment feront-ils pour comprendre celui de l’autre ? Rien dans la culture ne nous prépare à cela. L’école nous forme pour un seul mode tout en stig­ma­ti­sant les autres ; si vous avez de la chance, vous nais­sez avec le bon mode, sinon c’est que vous êtes au choix « un fainéant », « un trublion », « un âne ». Oui, je sais « ça n’existe pas cette histoire de modes de pensée innés indi­vi­duels, on nait égaux et pareils, même entre femme et homme tout ça c’est des fadaises ». On en repar­lera. En atten­dant, quand deux personnes avec une approche diffé­rente d’un même problème se rencontrent elles ne se comprennent pas. Jusque là tout va bien, je serais tenté de dire, mais ça se corse quand les deux ont la même réac­tion consis­tant à nier les argu­ments de l’autre : ils se trompent tous les deux, alors même qu’ils ont raison tous les deux puisqu’ils voient la même chose qu’ils décrivent de façon diffé­rente.

Pour le moment, je défriche un terrain pour y posi­tion­ner mon vrai sujet. Il n’y a pas d’autre solu­tion pour moi que d’en découdre respec­tueu­se­ment avec toutes les reli­gions, même celles qui nient l’être. Les reli­gions ne sont pas toutes égales. J’aime l’Hin­dou qui ôtes ses chaus­sures dans une mosquée, s’age­nouille et prie avec les autres comme eux ; qui fait le signe de la croix avec de l’eau bénie dans une église, s’as­soit et prie avec les autres comme eux. C’est ça l’œcu­mé­nisme : sa reli­gion est à lui, mais celle des autres est respec­table, il sait qu’il « parle » avec la même divi­nité, quelle que soit la forme de son langage. À l’autre bout du spectre, diverses Reli­gions sont bien plus exclu­si­vistes, je n’ap­prends rien à personne.

Il semble­rait, et cela se véri­fiera, que l’Oc­ci­dent ait une tour­nure d’es­prit géné­rique bien plus tran­chée que l’es­prit disons Orien­tal. Nous, les ration­nels, aimons qu’une porte soit ouverte ou fermée. Qu’elle puisse être contre, mal fermée, verrouillée ou pas, à peine ouverte ou béante, tout ça ne semble pas rete­nir notre atten­tion dans la construc­tion d’un système. Ce n’est pas un juge­ment de valeur où les Orien­taux seraient des gentils et nous des brutes. C’est juste factuel, ça marche comme ça et c’est bien mieux de le savoir, de l’ob­ser­ver, de nous obser­ver. On ne vas pas le redire ? Si on va le redire, la première œuvre de l’in­di­vidu tient à « connais-toi toi-même ».

C’est pareil pour un monde, non ?

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