Psycho­lo­gie de l’inné – styles – 5

Les philo­sophes (les méde­cins aussi) ont oublié les tempé­ra­ments d’Hip­po­crate. Rien que pour cette raison, penser comme Platon est impos­sible, on en est rendu à penser pour Platon, à penser à sa place, parce qu’on s’est obli­gés à l’am­pu­ter en même temps que toute la pensée antique. Même Pierre Hadot dont les idées et les livres magni­fiques veulent nous rappro­cher de la pensée vécue est passé à côté de ça telle­ment les styles sont invi­si­bi­li­sés. C’est un pur massacre. Ce n’est pas le bébé jeté avec l’eau du bain, comme par inad­ver­tance, c’est le bébé jeté tout court, volon­tai­re­ment, méti­cu­leu­se­ment, comme on jette­rait un bébé « qui a l’air » malformé de nais­sance. C’est un avor­te­ment de la pensée qui a créé la pensée avor­tonne de notre époque.

Socrate, Platon et Aris­tote, pour ne citer « qu’eux », savaient tout natu­rel­le­ment leur propre type psycho­lo­gique inné et savaient de même les types des gens qui les entou­raient, ça faisait partie de leur culture, de leur manière d’être et de penser l’uni­vers. Ils savaient que tout le monde ne réagit pas de la même manière, et ils savaient iden­ti­fier en chaque personne sa caté­go­rie, sa façon d’être au monde et ils en tenaient compte dans chaque rencontre entre personnes.

Faire de la psycho­lo­gie des types innés c’est être révo­lu­tion­naire, c’est igno­rer des choses si bien brico­lées et étouf­fées, c’est aller fouiller les poubelles de la philo­so­phie et de la science, et il y a large­ment de quoi faire. Pour l’in­di­vidu, c’est une révé­la­tion lente, c’est une pratique (la fameuse praxis) qui éclaire les autres de norma­lité, de descrip­tion neutre et non de pres­crip­tion idéo­lo­gique. Je n’ai rien contre la pres­crip­tion, je sais juste qu’elle est impos­sible, faus­saire, folle, etc., sans une bonne et véri­table descrip­tion anté­rieure. Or ce monde gomme certaines descrip­tions, les ignore volon­tai­re­ment et pres­crit selon des critères déta­chés du réel : renta­bi­lisme, domi­na­tion, victoire du fort, éradi­ca­tion du faible, crois­sance infi­nie, rétri­bu­tion par la corrup­tion et autres sornettes « qui marchent » paraît-il, en tout cas qui font notre époque d’ap­pren­tis sorciers.

La praxis de la psycho­lo­gie de l’inné, je l’ai appe­lée « l’exer­cice extra­or­di­naire », c’est ce que c’est, rien à ajou­ter. C’est une petite Maro­caine, une zonarde d’Aga­dir qui me l’a sortie celle-là. Une femme paria qui me valait des regards de haine en djel­laba pour appré­cier sa compa­gnie. Elle était fine et vive, soli­taire, abimée et quand même joyeuse et illu­mi­née de l’in­té­rieur, elle savait sa vie sur le bout des doigts : femme de rien du tout en terre d’Is­lam, utile/utili­sée la nuit, réprou­vée le jour. Elle disait tout le temps « c’est l’exer­cice extra­or­di­naire », je crois qu’elle vivait par ça, sa psycho­lo­gie à elle, son onto­lo­gie : vivre quand même, vivre au-delà de soi malgré tout. J’ai repris son antienne à mon usage, c’est cohé­rent, même si ce n’était pas le même thème pour elle, c’était une façon gran­diose d’exis­ter, voilà le point commun, pratiquer les styles CC au quoti­dien, c’est un exer­cice extra­or­di­naire. Regar­der les autres avec ce point de vue neutre, néces­sai­re­ment neutre, non les dévi­sa­ger, mais les envi­sa­ger, c’est juste magni­fique.

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J’ai plus ou moins pris une déci­sion, je vais adop­ter la dési­gna­tion de « styles » pour les types psycho­lo­giques innés. Chaque penseur à sa dési­gna­tion, il m’en faut une pour dési­gner cet objet qui a un bien trop grand nombre de termes. Les styles cogni­tifs sont une branche de la science de l’édu­ca­tion qui noie plus ou moins le pois­son, puisqu’une partie seule­ment traite exac­te­ment de nos types à partir de la neuro­lo­gie. Je choi­sis d’igno­rer les autres recherches sous le même nom, à moins qu’elles ne ramènent subrep­ti­ce­ment sous masque nihi­liste à notre objet, ce genre de chose est large­ment possible dans ce monde où le faus­saire côtoie malgré tout le même réel que tout le monde, comme c’est le cas de la carac­té­ro­lo­gie de Klagès, qui semble se réap­pro­prier le mot pour lui donner un sens telle­ment diffé­rent de la carac­té­ro­lo­gie lese­nienne, semblant même s’échap­per de toute innéité, qu’il l’an­nule. Mais pour­tant, à la fin de son « Les prin­cipes de la carac­té­ro­lo­gie », il retombe discrè­te­ment sur l’on­to­lo­gie quater­naire avec traits, compa­tible avec l’en­semble des styles. Il faut bien dire que ce n’est pas facile tous les jours de faire de la science furtive sur un objet inter­dit, quand en plus discré­di­ter les autres fait se sentir plus grand.

Je ne comprends pas pourquoi les styles des sciences de l’édu­ca­tion sont donnés pour seule­ment cogni­tifs, ils sont aussi compor­te­men­taux. En réalité leur science n’ou­blie jamais le compor­te­ment, c’est juste qu’il n’est pas inscrit en titre. Tant mieux pour moi, car ma propre science de la même chose est diffé­rente et doit être disso­ciée, je vais donc m’ap­pro­prier cette liberté d’as­so­cier expli­ci­te­ment le compor­te­ment à mon propre titre. Donc pour mes textes, quand j’écri­rai « styles » cela voudra dire « styles cogni­tifs et compor­te­men­taux » ou bien « styles CC ». Cela fait que j’ai une appel­la­tion origi­nale sur laquelle dépo­ser non pas rien que mon petit bout de la lorgnette comme le fait chaque appel­la­tion, mais tous les petits bouts de la lorgnette en plus du mien, qui lui, n’a du coup pas de nom. Ceci dit, je consi­dère ma propre percep­tion des styles, en tout cas pour mes textes, comme un réfé­ren­tiel de compa­rai­son. J’ai mis au point une nomen­cla­ture sur le long cours en plusieurs décen­nies qui est extrê­me­ment bien entre­la­cée avec l’on­to­lo­gie formelle, puisque les deux ont grandi en moi simul­ta­né­ment. Cette nomen­cla­ture sera la nomen­cla­ture des styles CC, c’est possible puisque cette appel­la­tion n’existe pas avant moi.

Je mentionne quand même qu’en réalité il y a deux appel­la­tions bonnes candi­dates pour nommer cette science. Primo l’évi­dente, la reine, légi­time d’entre toutes puisqu’elle est la mère antique, du moins de ma civi­li­sa­tion (n’ou­blions pas les Doshas ayur­vé­diques en Inde), c’est les tempé­ra­ments. C’est fonda­men­ta­le­ment la même science dont je parle ici, le même réel et les mêmes outils onto­lo­giques pour en rendre compte. Pourquoi les Hollan­dais et le Senne ensuite ont-ils fondé le nom de carac­té­ro­lo­gie pour conti­nuer l’œuvre des tempé­ra­ments sans reprendre l’évi­dence du nom ? C’est clair. Furti­vité n’était pas encore de mise, mais chan­ge­ment de sujet, oh que si. Les « Lumières » ont, à la lance, éteint les tempé­ra­ments qui avaient été au cœur de la méde­cine pendant quand même deux mille ans. Impos­sible de les réveiller sans faire bâiller d’en­nui et de dégoût les pontes, il fallait du neuf. La carac­té­ro­lo­gie a été une Science, avec une majus­cule, qui avait chaire et publiait aux PUF, jusque les années 1950–1960 où elle est dispa­rue sous le tapis, sans faire de vague. Gaston Berger est le dernier Scien­ti­fique Carac­té­ro­logue, après lui les gens ont œuvré dans l’ombre. Il est parti en lais­sant un trésor inaperçu : la cause finale des types psycho­lo­giques innés. Mon quatrième trait lui doit énor­mé­ment.

En atten­dant, pour nommer « ma » science, je suis devant ce problème : réveiller la science antique des tempé­ra­ments ou bien réveiller la Science moderne des carac­tères ? Les deux me vont, les deux sont perti­nents, mais voilà, les deux sont salis : j’ha­bite une époque, je dois compo­ser avec elle et du coup, comme des contem­po­rains à moi se sont posé la ques­tion, comme ils ont des argu­ments véri­fiables (neuro­lo­gie), comme ils n’ont pas encore été iden­ti­fiés et donc salis par la Science, alors je peux adop­ter leur réponse des styles. Ils ont bien fait, ce mot-là commence vierge en psycho­lo­gie, il a juste ce qu’il faut de poly­sé­mique en psycho­lo­gie pour noyer le pois­son des coupeurs de têtes, c’est parfait.

Dans tous les cas demeure une appel­la­tion univer­selle, mon univer­sel, qui n’est pas pratique et nomi­nale, mais lourde et descrip­tive et que vous avez croi­sée déjà cent fois sous ma plume, c’est les types psycho­lo­giques innés. Jung s’est posé lui aussi la même ques­tion du nom. Pour des raisons person­nelles non dénuées d’af­fects, il lui fallait abso­lu­ment se distin­guer des carac­té­ro­logues et d’Hip­po­crate. Penser sans les maîtres est une chose qu’à su faire Jung dans les nombreuses disci­plines qu’il a appro­chées, c’est l’un de ses traits de génie, mais penser contre les maîtres, c’est une erreur qu’il n’a pas évitée dans le domaine des types psycho­lo­giques. En atten­dant, sa dési­gna­tion est excel­lente, c’est pour cela que je me la suis appro­priée comme réfé­rent initial, en y ajou­tant évidem­ment mon axiome de départ, dont nous allons voir bien­tôt l’im­mense utilité, qu’est l’in­néité. La raison pour laquelle je n’ai pas décidé d’adop­ter comme emblème les « types psycho­lo­giques innés », mais les styles, c’est d’abord que le mot « type » est bien trop poly­sé­mique, c’est un incom­pa­rable fourre-tout, dont on se sert en écri­vant des textes un peu tech­niques aussi faci­le­ment qu’on sale un plat, et donc on est obligé de mettre aussi­tôt psycho­lo­gique et comme il peut y avoir des types psycho­lo­giques acquis, il faut mettre aussi­tôt innés. C’est trop long, c’est redé­fi­nir à chaque fois l’objet disci­pli­naire. Même s’il est lui aussi poly­sé­mique, « style » est un mot plus rare, voilà sa qualité. Les « styles cogni­tifs » sont la troi­sième itéra­tion histo­rique de la science des types psycho­lo­giques innés, merci les sciences de l’édu­ca­tion, je m’y réfère et puis c’est tout. Enfin pour le moment… En fait rien ne m’in­dique que je ne vais pas chan­ger d’avis un jour devant une belle « offre finale », une quatrième qui chapeaute le tout, disons que je pense depuis si long­temps à mettre « style » en emblème, que ça doit être bon. On verra bien.

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Les styles CC ont quatre traits que je nomme de manière géné­rique, comme en onto­lo­gie, selon les quatre lettres grecques : alpha, bêta, gamma et delta. Le trait est une carac­té­ris­tique onto­lo­gique, c’est-à-dire une caté­go­rie dyadique du type [yin/yang] parfai­te­ment usuel pour nous. Chaque personne dispose à la nais­sance d’une « posi­tion de repos » d’un côté ou de l’autre de la dyade. La posi­tion de repos indique bien ce qu’elle veut dire : si vous êtes [yin] en alpha, cela ne veut pas dire que vous êtes inca­pable de connaître ou de vous compor­ter selon le [yang] alpha. Vous savoir [ration­nel] en alpha ne veut pas dire que vous êtes inca­pables de connaître ou de vous compor­ter en [irra­tion­nel], par exemple en reve­nant du boulot de dire « je t’aime » à votre conjoint, votre maman ou à vos gosses. C’est souvent la première confu­sion que font les gens, parce que nous sommes habi­tués à raison­ner de façon binaire. Nous sommes capables des deux postures du trait, mais il y en a une où nous reve­nons par défaut et c’est cette dernière que les styles CC déter­minent avec des mots qui dési­gnent une tendance et non une propriété mono­li­thique. Je rappelle que ces caté­go­ries en tant qu’elles sont onto­lo­giques ne sont pas des caté­go­ries ration­nelles, elles forment un tout. Un être théo­rique qui serait exclu­si­ve­ment [ration­nel] en alpha n’existe pas, ou bien n’est pas viable, pas envi­sa­geable.

Quand on en vient à leur déter­mi­na­tion, pas mal de gens objectent « je suis les deux ». Ce n’est pas vrai, ce n’est pas faux, c’est hors de propos. Être ceci ou cela en style CC veut dire « je suis né ceci ou cela comme posi­tion de repos », rien d’autre. On ne peut pas avoir les deux posi­tions de repos selon un trait, on ne peut pas ne pas en avoir non plus. Ne me deman­dez pas pourquoi, c’est axio­ma­tique depuis l’ori­gine, je l’ai véri­fié dans tous les cas et je n’ai jamais vu d’au­teur contre­dire ce modèle. Il y a un quand même champ de réflexion qui demeure ouvert ici, qui est au-delà de ma propre expé­rience et de celle des auteurs que j’ai pu lire. La déter­mi­na­tion du style a donc ici toute l’ap­pa­rence de la bina­rité : on est [yin] ou [yang] au repos selon le trait. Mais quand on pense à l’on­to­lo­gie du sexe, il y a un trouble qui appa­raît, d’où l’ou­ver­ture du champ de réflexion. Quand on étudie le sexe, on se rend compte que la bina­rité des cartes d’iden­tité ne coule pas de source. Un certain fémi­nisme parle de cinq sexes, une autre approche montre une conti­nuité physio­lo­gique entre l’im­plan­ta­tion des sexes fémi­nin et mascu­lin, où par exemple un clito­ris déme­suré ressemble à une verge, en un seul mot l’her­ma­phro­disme fait partie de la déter­mi­na­tion du sexe. En s’éclai­rant de ce fait physio­lo­gico-onto­lo­gique, on peut se poser la ques­tion d’un herma­phro­disme limite du style qui vien­drait contre­dire l’axiome. Ce n’est qu’une paren­thèse dans mon discours, mais il faut que ce soit clair, je ne prends pas posi­tion, je fais un choix. Je n’ai pas de réponse à la ques­tion de l’exis­tence d’une neutra­lité dans un style et je consi­dère par défaut que la réponse est binaire, puisque je n’ai jamais rencon­tré de contra­dic­tion à cette règle. Cette ques­tion est bien plus diffi­cile à réflé­chir que la physio­lo­gie du sexe, pour la bonne et simple raison de ce qui va suivre, qui vient expliquer les sensa­tions des gens quand ils pensent « être les deux ».

Les styles ne parlent que de l’inné. Je le redis tout le temps, mais c’est un exer­cice extrê­me­ment diffi­cile pour des personnes habi­tuées à ne pas avoir de psycho­lo­gie innée. La monade est maté­riel­le­ment insé­cable, mais elle est intel­lec­tuel­le­ment discer­nable : on peut étudier sépa­ré­ment le yin ou le yang de tout ce que l’on veut. Ici notre yin est l’inné, cela veut dire que tout le temps qu’on parle des styles on ne parle pas d’ac­quis.

Mais cela ne veut pas dire qu’un être n’est défi­nis­sable que par son inné. Rappe­lons-nous bien que c’est bel et bien ce qu’af­firment des cohortes de combat­tants de l’inu­tile depuis que le débat inné/acquis fait rage : ils ne veulent pas simple­ment étudier sépa­ré­ment l’un des deux pôles, ils prétendent que l’être n’existe que selon un seul pôle, en géné­ral l’ac­quis selon l’ac­cord tacite de l’idéa­lisme plato­ni­cien. Discer­ner ce que l’on peut discer­ner de ce que l’on ne peut pas, c’est l’élé­men­taire.

Ceci pour dire ce qui est constam­ment à l’es­prit des styles CC : la personne est un mélange intime et intriqué des deux, l’inné plus l’ac­quis. L’ac­quis n’est pas notre problème, mais nous en tenons compte quand néces­saire. Vous pouvez vous sentir ou même vous croire [ration­nel] en étant dans les faits du style [irra­tion­nel] ; tout dépend de votre éduca­tion, de vos déci­sions, de votre conjoint, etc. Mais moi, quand je vous envi­sa­ge­rai, je ne me lais­se­rai pas prendre au piège et je vous dirai soit comment et pourquoi vous êtes comme ça, soit je vous dirai là où ça cloche et quelles sont vos possi­bi­li­tés : un ration­nel qui se prend pour un irra­tion­nel ou bien le contraire ? C’est une possi­bi­lité du style qui fait un aspect de la richesse des gens : l’inné est à jamais pour vous et l’ac­quis vous tombe dessus vous offrant ou non le libre arbitre d’être ce que vous voulez ou devez par mimé­tisme : contraire à vous-même, c’est la richesse et la diffi­culté que vous recher­chez en tout cas que vous rencon­trez ; semblable à vous-même, l’aug­men­ta­tion et la puis­sance sont votre chemin. J’ap­pelle ça la contra­riété ; ici je montre son extrême, quand une personne va imper­tur­ba­ble­ment vers son contraire, mais rappe­lons-nous bien que la contra­riété de son propre trait demeure une présence constante, même si l’on est bien dans son style. Regar­dez un [irra­tion­nel] assumé, non contra­rié, de faire ses comptes : c’est pénible, mais il n’a pas le choix, il le fait et se trans­forme pour un moment en [ration­nel].

Je tente de vous montrer la complexité des traits sépa­ré­ment, mais rappe­lez-vous que les traits sont au nombre de quatre. Ils sont tous distincts et indé­pen­dants. Le premier trait ne peut pas être confondu avec le second ou le troi­sième ; ils ont chacun un support séman­tique net et cohé­rent avec toute l’on­to­lo­gie formelle qui les rend discer­nables sans équi­voque. Il n’y a pas de diffé­rence entre la notion de trait du style CC et traits de l’on­to­lo­gie formelle. Là où les mots n’existent pas, on en met quand même, et tous ces mots visent la même cible, c’est de la science.

Les traits se cumulent pour former une caté­go­rie parmi un nombre fini. Les caté­go­ries sont la résul­tante des traits. Un trait c’est deux caté­go­ries, deux traits c’est quatre caté­go­ries. Donc avec quatre traits nous avons seize caté­go­ries, seize styles CC. Quand vous avez déter­miné que vous êtes [irra­tion­nel] et que vous êtes [intel­lec­tuel], vous avez déter­miné que vous êtes de la caté­go­rie qui se situe au croi­se­ment de ces deux déter­mi­na­tions.

Pour faire ma propre descrip­tion des traits, j’ai mis au point deux séries de diades : l’une est celle des emblèmes, l’autre est celle des déter­mi­na­tions. L’em­blème est central, c’est le repère prin­ci­pal qui est supposé parler clai­re­ment aux gens. Nous verrons que j’ai fait des choix oppor­tu­nistes de nomen­cla­ture liés à mon époque, je pense propé­deu­tique et pas unique­ment tech­nique. Ces quatre diades emblèmes sont de nature onto­lo­gique et forment tout le « moteur » des styles CC. Les déter­mi­na­tions par contre sont bien plus terre à terre, elles servent à discer­ner rapi­de­ment et avec une bonne assu­rance son propre style dans le trait consi­déré. Dans les quatre descrip­tions qui suivent, je commence par mettre le rang du trait, l’em­blème et la déter­mi­na­tion.

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Alpha : [irra­tion­nel/ration­nel] [tenue][négligé/strict]

Le trait alpha du style CC est ma révé­la­tion initia­tique. Quand j’étais en théra­pie dans les années 1995, j’ai vécu cet instant prodi­gieux : j’al­lais me lever pour partir de ce qui allait deve­nir mon avant-dernière séance, et là je reste figé sur une phrase qui sort de moi, limpide, évidente : « mais, je suis Anima… ». Avant cela, j’avais réveillé pour moi le couple latin ([anima/animus]) grâce à Jung, je l’avais fait miroi­ter sur divers plans et soudain, il dési­gnait d’une manière qui allait s’avé­rer inal­té­rable ce que j’ap­pelle aujourd’­hui les styles CC. Cet instant a changé ma vie complè­te­ment, elle avait désor­mais une direc­tion d’une incroyable dimen­sion et qui me fasci­nait à un point que je n’avais jamais imaginé. Je ne savais pas ce que je faisais, une certaine quête onto­lo­gique régio­nale qui me guide­rait à l’on­to­lo­gie géné­rale, à l’on­to­lo­gie de l’on­to­lo­gie, mais j’étais en route, alors que la minute d’avant je cher­chais encore à naitre. Quand je suis retourné à la séance d’après, j’ai dit « c’est bon, j’ai fini ma théra­pie, ça fait main­te­nant deux ans, c’est la bonne distance et j’ai de quoi faire, main­te­nant ». J’étais trem­blant, excité, je n’ai pas su m’as­seoir, j’étais déjà autre part. Il m’a dit d’un air bizarre « tu es sûr ? » ! « Oui ! Tout va bien, je suis là, je me vois être » ! Oh ! ça n’a pas été aussi simple, j’y suis retourné plus tard pour m’y retrou­ver, mais ça n’a plus jamais repris comme avant, c’était vrai­ment une page qui s’était tour­née.

Par la suite j’ai litté­ra­le­ment « inventé » cette science du style, qui allait m’en­trai­ner vers ma pente natu­relle en tant qu’ir­ra­tion­nel + intel­lec­tuel, celle de l’on­to­lo­gie. Bien sûr par la suite j’ai compris que j’étais tombé sur une filière oubliée et que peut-être je ne l’avais pas autant inventé que ça, peut-être que simple­ment je ne me rappe­lais pas bien de mes influences, c’est sans impor­tance tant que je ne cherche pas à m’at­tri­buer ces choses. Le trésor des traits indique que la compré­hen­sion, le moment où savoir émerge de la créa­tion, trans­cende cette union, par le retour, en un nouveau sens comme chose sensible. Ainsi, quand on apprend quelque chose, on peut oublier comment on l’a appris puisque c’est devenu un sens nouveau qui en tant que tel se mobi­lise intui­ti­ve­ment, c’est-à-dire sans qu’on le veuille, comme une évidence, un réflexe venant de notre centre mysté­rieux que d’au­cuns appellent le divin. Évidem­ment, il faut vivre la boucle pour que ça marche, lire un savoir dans un bon livre ne suffit pas à en faire un sens pour soi, d’où l’avan­tage d’avoir à se battre avec le texte pour lire des choses impor­tantes.

Je ne sais même plus comment j’ai commencé à parler de ce trait en termes de ratio­na­lité. Le mot est incon­tour­nable dès qu’on se penche sur la Science. Ça coulait de source, je n’avais pas idée du trait ni qu’il y en eut d’autres : le style était unique­ment ce trait pour moi. J’ai quand même fini par perce­voir qu’il y avait autre chose. Assez vite et tant que je n’ai pas rencon­tré la problé­ma­tique dans un livre (Jung), ma nomen­cla­ture était deve­nue triple : les anima, les animus et les « bi ». Ces derniers vous l’au­rez compris étaient pour moi compo­sés des deux. Je crois que je ne voyais que les alphas intel­lec­tuels et que je mettais les physiques en « bi » ou quelque chose comme ça. Après la lecture de « Les Types psycho­lo­giques », j’ai adopté deux traits.

Une ques­tion s’est posée de façon récur­rente et la réponse est demeu­rée, jusqu’à ce jour, iden­tique. La dyade est de type oppo­si­tion, c’est-à-dire qu’un pôle est dési­gné par la néga­tion de l’autre : irra­tion­nel et la néga­tion de ration­nel, le même mot sert aux deux défi­ni­tions. Quand j’ai rencon­tré les carac­té­ro­logues, j’ai vu que la signa­ture de ce trait était séman­tique­ment iden­tique, mais que ses conte­nus idéo­lo­giques étaient inver­sés. Le trait alpha hollan­dais est [sensible/insen­sible], il ressemble à la réponse du berger à la bergère face à une Ratio­na­lité enva­his­sante. D’un côté le [yin] alpha est dépré­cié, de l’autre il est posi­tivé, et réci­proque­ment. C’était un constat déjà assez joyeux pour moi, qui éclai­rait bien l’a priori carac­té­ro­lo­gique et me donnait l’im­pres­sion d’avoir rencon­tré des collègues. Mais bon, nous faisons de l’on­to­lo­gie et nous visons donc la neutra­lité ; régler ses comptes à travers des comptes rendus scien­ti­fiques, ce n’est pas neutre et ne pas être neutre dans une matière aussi diffi­cile à mettre au jour, ce n’est pas produc­tif du tout.

Voilà, taxer quelqu’un d’in­sen­sible est péjo­ra­tif, mora­liste, donc ce n’est pas correct. J’ai évidem­ment pensé à faire une dyade avec les deux dyades, en prenant ce qui n’est pas l’in­ver­sion, ce qui donne le satis­fai­sant [sensible/ration­nel], que je vous conseille d’adop­ter pour votre usage, mais que je n’adopte pas moi-même dans mes comptes rendus, pour la raison propé­deu­tique que j’ai dite ulté­rieu­re­ment : je vis dans un monde cinglé, je vais m’adres­ser à des gens vivant dans ce monde-là et je dois leur ensei­gner quelque chose sur la non-neutra­lité des termes de la première distinc­tion univer­selle onto­lo­gique qu’est [sentir/calcu­ler].

Quand je dis « Êtes-vous ration­nel ou bien irra­tion­nel », je dis impli­ci­te­ment, et si ce n’est pas clair je précise que les deux sont normaux. La portée psycho­lo­gique du fait que l’ir­ra­tio­na­lité soit présen­tée comme normale est bien plus grande que ne l’est l’in­con­vé­nient de ne pas utili­ser une dyade complé­men­taire dans ce contexte. C’est une erreur volon­taire qui veut faire grin­cer des dents, non pas comme les carac­té­ro­logues qui dépré­cient par leur « insen­si­bi­lité » ceux qui dépré­cient les autres de manière systé­mique, mais qui appré­cie ceux qui ne sont pas « comme il faut » selon l’air du temps. La posture pour­rait sembler réci­proque et iden­tique à celle des carac­té­ro­logues, mais elle en réalité est dras­tique­ment diffé­rente, car elle est construc­tive, onto­lo­gique, conforme à l’ordre des choses : je ne suis pas contre quelque chose, je suis pour son contraire. N’ou­bliez jamais cette maxime, être pour le contraire de quelque chose demande de la réflexion, mais c’est bien plus effi­cace devant l’ex­cès : on ne le combat pas de face, on le dégonfle.

Comment se recon­naître selon ce trait ? C’est là que la deuxième dyade entre en scène. On parle de la tenue dans divers sens du terme. Quand j’in­ter­roge les gens, je me limite toujours au vesti­men­taire d’abord et à l’ha­bi­ta­tion ensuite. La diffi­culté, je l’ai déjà sous enten­due, c’est de mélan­ger l’inné et l’ac­quis : vous êtes bien ration­nel de nais­sance, mais vos parents vous ont élevé comme un irra­tion­nel. À moins que ce ne soit le contraire. D’après mon expé­rience il y a une personne sur deux (ce n’est pas statis­tique, c’est l’un ou l’autre) pour qui c’est très clair tout de suite : je leur dis le couple de mots et ils rigolent, ils savent sans équi­voque, ils sont « croqués » par elle et d’ailleurs, je l’ai su tout de suite moi-même en les envi­sa­geant. Si vous me rencon­trez, même sur certaines photos, vous saurez instan­ta­né­ment que je suis irra­tion­nel parce que je me vous de mes habits, qui peuvent être troués, décou­sus ou tâchés, ou encore de mes cheveux qui sont le plus souvent en bataille. Je n’ai pas été contra­rié par mes parents sur l’al­pha, du moins sur les aspects de la tenue de mon habi­ta­tion et de mes vête­ments. Quand on a de l’ex­pé­rience, il y a d’autres choses qui sautent aux yeux, c’est un ensemble de ces critères sensibles qui assoient la signa­ture du trait d’une personne, le mieux, c’est quand elle comprend et qu’elle le dit elle-même.

Quand la personne on est une contra­riée ou bien qu’elle n’a pas trop réflé­chi au problème, alors je raconte des petites mises en scène et je demande ce qu’ils font dans ce cas. La première de ces petites mises en scène, la plus ancienne n’est pas la meilleure : « tu es au restau­rant, tu fais une tâche sur ton panta­lon, ta robe. Que fais-tu : tu changes l’ha­bit dès que possible, quitte à retour­ner chez toi rien que pour ça, ou bien tu oublies l’af­faire et tu remets la même chose le lende­main, de toute façon c’est du gras, ça s’étale on n’y verra plus rien demain ? ». J’ai utilisé ça un temps, mais j’ai trouvé mieux. « tu rentres chez toi après le taf, tu retires tes chaus­sures, que fais-tu : tu mets tes chaus­sures à la place des chaus­sures, ou bien tu laisses tomber une chaus­sure là où tu l’en­lèves et l’autre de même et tu passes à autre chose ; quand le lende­main matin tu voudras remettre tes chaus­sures, elles seront là où elles sont tombées, à moins que tu ne les aies balayées du pied parce qu’elles te gênaient à un moment donné ? ».

La condi­tion sine qua none de ce ques­tion­ne­ment, c’est que les gens parviennent à s’ima­gi­ner une scène où ils sont abso­lu­ment seuls et chez eux seuls. Ce n’est pas toujours possible, du moins sans remon­ter peut-être à l’en­fance, pour des gens qui ont toujours habité avec d’autres, quit­tant sa famille pour créer une famille. Si un irra­tion­nel contra­rié a choisi un conjoint qui le contra­rie de la même façon, il peut manquer de repère inné. J’ai l’œil pour ce genre de choses, il y a des petits signes, à peine des indices qui ne trompent pas.

Je suis avec un ami en terrasse sur la Grand-Place, c’est le matin. Un couple flam­boyant vient s’as­seoir à quelque table de nous, ils sont jeunes, joyeux, intel­li­gents, amou­reux ; ça se titille, c’est passionné, c’est festif : ils sont beaux et de bon matin, c’est rare, je ne gâche pas mon plai­sir. Je regarde elle, c’est mon contraire [ration­nelle + physique], c’est mon type, du coup elle me plait, c’est comme ça que je suis sûr : le désir est un bon repère pour le style CC. C’est là que ça devient inté­res­sant, je le regarde lui : super coupe de cheveux, bien coif­fés, beau costume, impec­cable, bonne tenue : il a tout du ration­nel, mais je ne suis pas convaincu. Déjà, ils sont trop amou­reux pour être semblables. Je le regarde bien du coin de l’œil, sans non plus faire mon voyeur, mais ça cloche, je pense qu’il est comme moi de style, forcé­ment. Et à un moment ça se confirme. Je vois qu’un ourlet de son panta­lon est décousu, il pendouille lamen­ta­ble­ment. C’est là que c’est drôle. Il me voit le voir, alors qu’on n’avait pas échangé un seul regard jusque-là, il est gêné et se penche vers le bug qu’il replace subrep­ti­ce­ment sans qu’elle l’aperçoive. Un vrai [ration­nel + physique] n’au­rait pas fait ça, ça l’au­rait énervé. C’est elle qui l’ha­bille, c’est elle qui l’en­voie se faire coif­fer, il est sa poupée (pour les vête­ments, le reste c’est leur histoire), elle le déguise et il adore ça, parce que du coup il est, contre son natu­rel, dans les critères du mondain et de l’élé­gance où ils adorent évoluer comme à bord d’un lumi­neux vais­seau fait d’eux deux, peut-être le temps d’une danse. Peut-être que demain elle le jettera, pas parce qu’il a cet ourlet décousu, mais parce que c’est tout le temps ; peut-être qu’il en aura marre de se faire rabrouer ou encore qu’il la trouve futile parce qu’elle n’a pas son intel­lect ? C’est autre chose.

La contra­riété acquise du trait n’est ni un handi­cap ni une qualité, c’est un fait du vivant. Pour un trait donné, la contra­riété peut être à diffé­rents niveaux, et peut se perce­voir diffé­rem­ment selon diffé­rentes personnes, elle fait partie du sel de la vie et de sa variété infi­nie. Une fois j’ai rencon­tré un gars accoudé au bar dans un bistrot, je ne l’avais jamais rencon­tré. Je l’ai d’abord envi­sagé et puis je lui adressé la parole direc­te­ment : je lui ai « tu as une nana vrai­ment super ». C’était là encore un irra­tion­nel, et là aussi habillé et présenté avec beau­coup de soin et il prenait cela avec beau­coup de sérieux. Ça m’a dit la même chose, elle l’ha­bille, mais en plus elle le laisse aller seul au bistrot, elle est son contraire et elle n’est pas mala­di­ve­ment jalouse, c’est une super nana. Du coup on a discuté et il m’a parlé d’elle évidem­ment, j’avais raison, super nana pour un super gars. J’étais tech­nique­ment jaloux, je n’en vivais pas l’af­fect, mais le manque. C’est diffi­cile d’al­ler vers son contraire, des fois ça se trans­forme une guerre totale entre grands amou­reux, très diffi­cile.

***

Bêta [physique/intel­lec­tuel] [rapport à la douleur][dur/douillet]

Je vais être de moins en moins disert sur les traits qui suivent. D’abord, j’ai conti­nué à donner beau­coup de géné­ra­li­tés tout en parlant de l’al­pha et ensuite les traits sont appa­rus à la suite l’un de l’autre, et même très récem­ment pour le quatrième, ce qui fait que j’y ai forcé­ment moins réflé­chi parce que je les ai moins vécus.

Le bêta est quand même assez ancien pour moi, mais il s’est déposé beau­coup plus lente­ment pour former les deux dyades. Je ne sais plus exac­te­ment comment j’ai abouti à [physique/intel­lec­tuel], mais je revois le jour et le lieu où j’ai dit « c’est bon », et je n’ai plus changé depuis. Il y a dans cette signa­ture une volonté propé­deu­tique équi­va­lente à l’al­pha, avec un méca­nisme iden­tique de majo­ra­tion plutôt que de péjo­ra­tion, sauf que là je n’ai pas besoin d’y mettre mon grain de sel en forçant la dyade. C’est impli­cite, mais je le confirme quand même un tant soit peu en parole. Quand je dis à quelqu’un pour la première fois qu’il est [physique], je sais qu’il y a une bonne chance pour qu’il tique, et un physique qui tique, ça peut envoyer des pains. Donc je crache ma Valda et je me tais, je regarde atten­ti­ve­ment sa pensée se former : « Houla ! Il me dit un truc que je pour­rais bien prendre pour une insulte, mais il là n’est pas insul­tant du tout, il est là à me regar­der d’un air neutre, il est vrai­ment sérieux et il est bien­veillant ; du coup je suis en train de me rendre compte que si je ne prends pas le mot pour péjo­ra­tif, mais normal, ça pour­rait bien expliquer ma façon d’être, et aussi cette espèce de malaise que je ressens à être simple­ment moi-même depuis la petite école ». À l’op­posé quand je dis à un [intel­lec­tuel] qui l’est, souvent c’est les yeux qui se baissent, ils ne se sentent pas le mérite de l’être. En fait, le mot semble flat­teur parce qu’on le confond à tort avec « être cultivé » et certains ne semblent pas « y avoir droit ». Or on peut être [physique] et être extrê­me­ment cultivé et bien sûr on peut être un [intel­lec­tuel] inculte. Ma posture est à peu près la même, j’at­tends que le chemin se fasse, bien qu’il soit diffé­rent puisque l’in­tel­lec­tua­lité se dégonfle un peu dans l’es­prit des gens alors que la physi­ca­lité y retrouve une meilleure place.

Dans tous les cas je parle un peu en clari­fiant les malen­ten­dus et la propé­deu­tique se fait toute seule pour une simple raison, c’est que les dyades sont onto­lo­gique­ment fondées et que l’on­to­lo­gie étant ce qu’elle est, une descrip­tion du réel, chacun a les moyens de s’y retrou­ver puisque le réel est le même pour tout le monde.

Il est à noter que chacun pense d’abord son pôle et pas l’autre, c’est tout natu­rel. Tout l’at­trait de la typo­lo­gie des styles CC tient dans le second temps, c’est là que l’exer­cice devient extra­or­di­naire, c’est quand, après avoir compris par exemple « je suis intel­lec­tuel, c’est quoi être intel­lec­tuel ? », on se dit « mais c’est quoi être physique ? » : du coup on se met à cher­cher là où on trouve du physique, c’est-à-dire le plus logique­ment possible, chez les gens autour de soi. Se connaître soi-même, certes, mais pas sans connaître ce qui est semblable et autre chez les autres. La pratique qu’im­plique cette notion d’exer­cice commence par un regard autour de soi, cette pratique est onto­lo­gique, elle fait faire de l’on­to­lo­gie formelle la plus pure, la mieux dessi­née, à partir d’une réalité omni­pré­sente et fina­le­ment très lisible quand on connaît l’ou­til.

Si ma dyade emblème [physique/intel­lec­tuel] a pas loin de vingt ans d’âge, je n’ai trouvé la dyade de déter­mi­na­tion pour le trait bêta qu’as­sez récem­ment, c’est-à-dire il y a moins de cinq ans. Autant dire que ç’avait été une très grande joie et un vrai accom­plis­se­ment. Avant cela je n’avais qu’une chose pas trop mal tirée du fonds onto­lo­gique juif à propos du regard : [regard][en flèche/en coupe]. C’est une dyade vrai­ment d’une grande justesse, mais qui ne parle pas univer­sel­le­ment. Il y a un élément cultu­rel trop impor­tant, je veux dire que ça marche mieux pour les intel­lec­tuels, qui peuvent faci­le­ment gérer l’abs­trac­tion inhé­rente à ces deux mots, et qui de plus ont déjà rencon­tré cette expres­sion qui doit encore se faire sens une fois appro­priée. Ce n’est pas univer­sel et je devais expliquer la méta­phore sans avoir de vraie solu­tion limpide. Je me souviens d’un moment assez bête de cette histoire, c’est que j’ai un jour trouvé une dyade de rempla­ce­ment plus satis­fai­sante, mais voilà, je l’ai oubliée, perdue.

C’est un jour où je suis allé voir un ami à l’hô­pi­tal, un physique irra­tion­nel de la plus belle eau. Il avait reçu des coups assez violents qui m’au­raient boule­versé, cham­boulé et il prenait ça comme des égra­ti­gnures. Une personne avec moi lui a dit, impres­sion­née, « tu es un dur ». Et voilà. J’ai dû cher­cher le contraire, ça n’a pas pris long­temps et main­te­nant, j’ai [rapport à la douleur][dur/douillet] qui marche du feu de Dieu depuis, sans que j’aie grand-chose à expliquer. Oh ! je connais par exemple des intel­lec­tuels qui ont dérouillé dans leur enfance et qui sont deve­nus très durs à la douleur, mais quand je leur dis ce que vous avez compris ici, ils acquiescent en silence : oui ils sont douillets, oui ils ont été durcis par les circons­tances.

J’ai vu ma sœur descendre de sa voiture avec son gros chat super nerveux qui lui a « glissé des mains » comme peut le faire un chat effrayé, c’est-à-dire de toutes ses griffes. Elle a eu les bras lacé­rés d’en­tailles géné­reuses et très profondes et elle n’a pas eu une émotion sur le visage autre que le la tris­tesse pour son pauvre chat. Elle a récu­péré le bestiau, elle est allée se soigner et on n’a plus jamais reparlé de l’his­toire. J’étais scot­ché, oui, c’est une [physique]. Moi, pauvre de moi ! J’au­rais hurlé et on en aurait parlé pendant tout le séjour et encore des années après. Oui, je suis [intel­lec­tuel] et non, je ne fuis pas spécia­le­ment la douleur.

Je n’ai pas été suffi­sam­ment clair concer­nant ma propre genèse du trait bêta. Les carac­té­ro­logues m’ont donné leur piste avant que je n’éta­blisse ma forme. Chez eux il s’agit d’une carac­té­ris­tique que je trou­vais alors un poil ésoté­rique, mais qui désigne clai­re­ment son objet de manière rigou­reuse : [reten­tis­se­ment][primaire/secon­daire]. Le physique est primaire, oui ça colle, l’in­tel­lec­tuel est secon­daire, parfait. Seule­ment je refu­sais et refuse, encore une fois, l’im­pli­cite péjo­ra­tif de cette dési­gna­tion. Ils auraient dit [premier/second], ç’au­rait été diffé­rent, mais là, le [primaire] désigne rigou­reu­se­ment tout ce qu’on méprise chez le physique : la poubel­li­sa­tion est toute proche. Autant les carac­té­ro­logues ont restauré le bien et le mal (cf. ontoar­chéo­lo­gie) de l’époque hyper­ra­tio­na­liste avec l’al­pha, autant ils ont avec ce choix enté­riné le bien et le mal en bêta, à la fois des catho­liques et des philo­sophes et qui marche si bien dans l’idéa­lisme plato­ni­cien. Le corps, c’est sale, l’idée est plus réelle que le réel. Rebelles ici, juges mouton­niers là. C’est le problème du mora­lisme impli­cite rampant là où la morale n’a rien à faire. Ce ménage-là sera fort utile en tous lieux.

Bref, le bêta des carac­té­ro­logues est cent pour cent compa­tible avec nos visées, dont leurs textes sont perti­nents à ce propos, mais leur nomen­cla­ture est tein­tée en plus d’être trop tech­nique. Ceci étant dit, sans elle, je n’au­rais pas décou­vert ce trait, ma grande œuvre c’est juste d’avoir trouvé les bons mots pour désa­mor­cer une péjo­ra­tion auto­ma­tique de plus, en la mettant à nu. C’est essen­tiel.

***

Gamma [réac­tif/actif][/]

Je ne l’ai pas non plus trouvé tout seul. C’est là encore la Carac­té­ro­lo­gie qui me l’a dési­gné : le Senne. Chez lui, comme chez Berger le trait se nomme [passif/actif] et curieu­se­ment ils l’ont placé en second en mettant le bêta en troi­sième. Je ne comprends pas bien, mais c’est ainsi. J’ai pour le moment relevé des « fautes de goût » dans la Carac­té­ro­lo­gie, mais là c’est une erreur onto­lo­gique. Dans les faits c’est une erreur qui a extrê­me­ment peu d’in­ci­dence, bien moins fina­le­ment que le mora­lisme impli­cite contenu dans les traits qui sont par contre onto­lo­gique­ment corrects. On voit dans ce cas que l’er­reur n’est pas néces­sai­re­ment la chose la plus grave en onto­lo­gie.

J’ai là aussi modi­fié les appel­la­tions polaires. Décla­rer quelqu’un de passif est encore une fois une forme de péjo­ra­tion, encore une « faute de goût » que j’ai essayé de désa­mor­cer.

J’avais adopté ce trait par défaut, parce que je le sentais juste et aussi parce que ces maîtres-là, les carac­té­ro­logues, avaient large­ment fait leurs preuves à mes yeux et que rien d’autre ne venait se mettre là ni dans ma percep­tion ni dans l’on­to­lo­gie formelle en géné­ral. Il y avait bien ce mysté­rieux couple intro­ver­sion et extra­ver­sion chez Jung, son premier et unique trait, puisque les autres sont cachés dans un quater­naire érudit et quand même pour le moins embrouillé. J’ai même cru qu’a­vec ces deux-là, plus les deux premiers, on avait une possible quater­nité de traits. Je n’ai pas vu grand-chose à ce trait jungien qui fait tout pour se distin­guer des autres traits bêta, mais j’ai bien vu que les commen­ta­teurs estiment d’un commun accord que ce trait jungien est la même chose que le reten­tis­se­ment, soit mon trait bêta. Ça colle bien pour moi qu’un [intel­lec­tuel] soit [intro­verti], pourquoi pas ? De plus je fais confiance à ce juge­ment, donc exit ce trait comme candi­dat au gamma ou au delta, c’est du bêta et basta.

J’ai eu énor­mé­ment de diffi­culté à signer la diade [passif/actif]. Même si cette signa­ture est un truisme pour le [yin/yang] chinois, j’ai besoin de plusieurs recou­pe­ments pour me sentir sûr de moi. Et là c’était tantôt l’une, tantôt l’autre signa­ture qui l’em­por­tait. Elle m’a échappé pendant de nombreuses années.

Pour ce trait, je n’ai pas de dyade de déter­mi­na­tion, je n’ai jamais ressenti le besoin d’en avoir une telle­ment c’est facile à discer­ner chez les gens. Il y a ceux qui ont toujours besoin de faire quelque chose et d’autres qui restent en place et attendent. Attendent quoi ? C’est d’abord avec Nietzsche que j’ai mieux compris le trait, ma dyade est la sienne, elle est bien meilleure, puisque le [yin] gamma n’est plus péjoré d’em­blée (même si Nietzsche lui en fait voir de toutes les couleurs) et que le [passif] a quand même une façon de s’agi­ter et non pas de rester indé­fi­ni­ment sur son rocher comme la moule qu’é­voque son sens. J’étais passif, je deve­nais réac­tif, et je comprends bien mieux ma manière d’être comme ça, parce que c’est exact : si on m’ap­pelle pour faire des choses, j’y vais, mais ce n’est jamais moi qui appelle ; j’ai la chance d’avoir des amis actifs qui me font bouger.

Ce trait est le troi­sième pour les styles et il est évidem­ment aussi le troi­sième pour l’on­to­lo­gie formelle. En tant que troi­sième il est moins étudié que les deux premiers par la tradi­tion et par les sciences, c’est factuel. C’est quand j’ai enfin pu comprendre la surface de Husserl que j’ai vu bien plus clair sur ce trait. Dans les termes de mon trésor, il se dit [vouloir/agir][créer]. Oui [vouloir] est la même chose qu’être [réac­tif] et même [passif] pour le trait gamma. Cela ouvre des portes de percep­tion que je n’ai pas encore explo­rées à fond, qui n’ont pas encore assez dormi en moi, mais qui ne comportent pas de trouble, juste de nouveaux points d’en­trées de grand inté­rêt.

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Delta [champ de conscience][large/étroit][enjoué/sérieux]

Le petit dernier, tout frais, tout neuf, mais pas des moindres puisqu’il s’agit d’une « cause finale ». L’im­mense chef-d’œuvre onto­lo­gique formel d’Aris­tote c’est d’avoir clôturé un millé­naire de sagesse antique d’un quatrième terme, la cause finale. Tous ses maîtres avant lui avaient creusé un sillon sécu­laire et il l’a terminé. La complé­tude onto­lo­gique est tout sauf anec­do­tique, elle dépasse la somme de ce qui est rappro­ché, elle ouvre la porte à « une suite » que l’on ne pouvait pas imagi­ner avant, ce n’est pas juste « oh encore un pois­son ! », c’est plus « la fin de cette pêche-là et du coup l’au­rore d’une toute nouvelle beau­coup plus vaste ». Le quater­naire est actuel­le­ment le sommet onto­lo­gique des humains. Or le Senne et Berger ont produit la boucle quater­naire des types psycho­lo­giques de l’inné.

L’on­to­lo­gie formelle des philo­sophes n’est pas parve­nue aux quatre traits, elle n’a pas envi­sagé les traits, ils sont quasi­ment indis­tincts pour elle : ils ont très peu existé à l’an­tiquité et main­te­nant ils sont perdus. Aris­tote est le maître sans égal des caté­go­ries quater­naire, mais pas des traits, il a quand même systé­ma­tisé un premier et deuxième trait, mais c’était très approxi­ma­tif et je n’ai pas vu de critique ulté­rieure de ces traits par des commen­ta­teurs, du réem­ploi en typo­lo­gie innée à l’iden­tique (Keir­sey) ou de la correc­tion furtive (Heymans). Nombreux sont les penseurs à ce jour qui ont situé des caté­go­ries quater­naires avec deux traits d’on­to­lo­gies régio­nales. Par contre au niveau géné­ral, on peut penser qu’A­bel­lio est parvenu au trait gamma, mais ses alpha et bêta ne sont pas limpides, en tout cas pour moi. Je n’ai pas tout lu tout vu. Bien sûr, mais c’est la mise en évidence de la préémi­nence du trait dans les caté­go­ries qui fait réel­le­ment partie de mon avan­cée dans l’on­to­lo­gie en me rappe­lant bien que je dois jusqu’au bout cette notion aux types innés. C’est le côté rela­ti­ve­ment anodin de ce geste qui me choque, comment personne ne l’a-t-il théo­risé en philo­so­phie depuis deux millé­naires ou trois millé­naires, même les Chinois ? J’ai ma petite idée : tout commence à la repré­sen­ta­tion. Si vous repré­sen­tez quelque chose, vous créez un système dont les proprié­tés émer­gentes peuvent coller au réel, la condi­tion étant que la repré­sen­ta­tion soit correcte. Or tout le monde s’est four­voyé là-dessus, toutes les repré­sen­ta­tions onto­lo­giques (colonnes, carré, croix, etc.) ont des proprié­tés émer­gentes limi­tées, insuf­fi­santes et bancales. Il aurait fallu non seule­ment qu’on tienne bien mieux compte de l’an­tiquité chinoise, mais aussi d’une percée onto­lo­gique datée du moyen-âge chinois. J’y revien­drai, c’est tout un chapitre de l’on­to­lo­gie géné­rale.

Je suis donc parvenu aux quatre traits parce que les carac­té­ro­logues ont fait un travail fonda­men­tal et parce que j’ai utilisé une repré­sen­ta­tion frac­tale qui m’a fait l’ines­ti­mable cadeau de la rota­tion avec laquelle j’ai pu expliquer les traits. C’est clair que j’ai énor­mé­ment réflé­chi, mais j’ai eu cette chance, je le répète, aussi parce qu’il y a eu tous ces géants avant moi et parce que j’ai la plus grande biblio­thèque que le monde n’a jamais envi­sa­gée avant, acces­sible depuis ma chaise.

Quand j’ai eu cette quater­nité du trait, je suis retourné voir les carac­té­ro­logues et j’ai vu leur gran­deur. Berger et d’autres ont proposé un candi­dat selon deux approches qui forment mes deux dyades sans modi­fi­ca­tion cette fois-là, que j’avais balayées alors assez bête­ment je dois dire comme étant « encore un trait alpha », mais là j’ai rabaissé mon caquet. On touche au chef-d’œuvre, la carac­té­ro­lo­gie s’est bouclée… puis elle est morte.

Je n’ai pas encore assez creusé ces deux pistes du trait delta chez les carac­té­ro­logues, qui viennent se mettre ici comme si elles étaient parfai­te­ment chez elles. Je n’ai donc pas encore atteint le niveau d’as­su­rance que j’ai pour les autres traits, et que j’exige. Mais je sais une chose : cette signa­ture du trait delta me remplit de bonheur, elle illu­mine mon espace, et, quand je m’en sers autour de moi, elle parle telle­ment.

Je suis un [sérieux] non contra­rié, donc acharné. Je suis certes apte à l’enjoue­ment, le mien comme celui des autres, mais je le rejette souvent en vrac comme une perte de temps. C’est un problème de rela­tion au monde d’ordre psy que j’ai là, on dirait, du moins tant que je ne m’en rendais pas compte. Du coup je travaille là-dessus : je peux être ainsi, pourquoi pas, mais pas juger les gens sur ce trait, et c’est un peu ce que je faisais. Je retourne à la petite école, c’est génial, je réen­vi­sage tout le monde autour de moi, c’est parfait.

Je pense par ailleurs que l’agapé a tout à voir avec le [yin] delta. Selon ma percep­tion, ce moment pour­rait bien surve­nir quand on a fini une chose et que l’on constate ce qui est fait. C’est le bonheur que l’on ressent d’une jour­née bien remplie quand on regarde le chan­tier nettoyé après une jour­née de travail : on se congra­tule et on se féli­cite. Géné­ra­le­ment, j’ai l’im­pres­sion que plus on monte dans le yin, plus les choses deviennent austères et là c’est tout le contraire, une chose très belle, qui a remué les anciens, fait irrup­tion en son site. J’ap­pré­cie beau­coup.

Les carac­té­ro­logues n’ont pas pu s’em­pê­cher de mora­li­ser ce trait avec [large/étroit]. Pour eux on est Large ou non-Large. Allons-y pour le genre de cita­tions qui tuent l’am­bi­tion carac­té­ro­lo­gique : « En résumé, un champ de conscience large corres­pond à un esprit souple, nuancé, cultivé, ouvert à toutes les percep­tions ; un champ de conscience étroit, à un esprit étriqué, rigide, à œillères, fermé à tout ce qui sort du cadre étroit de ses inté­rêts immé­diats ». C’est la première chose qui appa­raît sur le Net… Quel dommage. Comme avec leur trait alpha, c’est le [yang], l’[étroit] qui est mal vu, c’est encore la vengeance de l’ir­ra­tion­nel ; on n’a pas besoin de cela. J’aime bien mieux le couple [enjoué/sérieux], j’aime bien mieux quand les deux sont utiles, pas vous ? La carac­té­ro­lo­gie nous offre encore une dyade pour accom­pa­gner ce trait [souplesse/raideur], avec ce même a priori.

Le mora­lisme en onto­lo­gie est pure perte de temps, aber­ra­tion, parce que c’est seule­ment à partir d’une onto­lo­gie cohé­rente que l’on peut seule­ment commen­cer à penser une morale fonc­tion­nelle, de la même façon que le formel conduit à l’ef­fi­cient chez Aris­tote.

Je vis avec ce quatrième trait depuis pas plus de trois mois, c’est vrai­ment très peu. Je n’ai même pas l’as­su­rance qu’il est bien le quatrième trait. J’en ai d’au­tant plus pour des années avec cette décou­verte qu’en dehors des carac­té­ro­logues je ne connais aucun auteur, de toute disci­pline ou de toute non-disci­pline confon­dues, qui l’ait perçue en dyade, même isolée en dehors d’une struc­ture de traits. J’ai pu passer à côté, mais ce ne sera plus le cas puisque c’est devenu un sens chez moi.

Ce sens est encore incer­tain dans la mesure où c’est delta[créer/comprendre] qui boucle la boucle de mon trésor, quand ils donnent le retour au [sentir] du trait alpha : [créer/comprendre][sentir].

Ceci dit que [créer], c’est [enjoué] et [comprendre] c’est [sérieux]. Et le mystère du retour, c’est que l’enjoué plus le sérieux nous ramène à l’ir­ra­tion­nel du commen­ce­ment. Faire vivre dans la pensée les analo­gies, les enchaî­ner et voir ce qui nait par-là, c’est ça faire de l’ana­lo­gie formelle.

***

Je suis loin d’avoir fini. Il y a l’at­ti­rance sexuelle ou pas, il y a encore le rapport au QI, à la race. Il y a les consé­quences du choix radi­cal de l’in­néité qui implique le rejet théo­rique de tout acquis dans le style CC, ce qui conduit à reje­ter pour cette recherche d’autres choses en même temps que la morale : de base ce sont les tests et les portraits, qui sont bien sympa­thiques, mais qui se montrent tota­le­ment contre-produc­tifs quand il s’agit d’en­cou­ra­ger l’étude de cette science.

Une réponse sur “Psycho­lo­gie de l’inné – styles – 5”

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