On peut aborder le Yi-King de différentes façons. Fondation de toute la culture chinoise, profond et original livre de la sagesse des jours, exposé d’ontologie fondamentale, oracle, et sans doute encore d’autres approches.
Oracle signifie quelque chose comme dispositif de contact avec la synchronicité. L’oracle n’est pas de la prédiction, il n’est un outil de décision qu’indirectement, par la compréhension du moment qu’il apporte. Fondamentalement l’oracle nous dit ce que nous savions déjà, mais en isolant l’important de tout ce que nous savions sans doute déjà au sein de la multiplicité des hypothèses, avec leurs potentielles erreurs de jugements. Il donne du recul et change notre manière de constater le réel, le moment que nous vivons.
Le Yi-King a un mode d’emploi subtil. Il étonne toujours celui qui sait s’y prêter. En tout cas c’est mon cas. Il m’a souvent servi de clarificateur (aide à la décision, antidépresseur) et même parfois tiré de situations compliquées avec des gens pas clairs. Je ne suis pas un prosélyte de ce livre, je suis un esprit exigeant et rationnel, capable d’expériences de pensée et d’esprit critique aussi bien sur elles que sur mes propres jugements. Et justement : ignorer l’accumulation de constats surprenants, leur récurrence même, ce ne serait pas très rigoureux.
Ce que je dis ici est ce qui s’est imposé à moi, et qui continue année après année, de ma pratique oraculaire du Yi-King. Quasiment chaque tirage du Yi-King que j’ai effectué depuis peut-être 10 ou 15 ans à été un enseignement lumineux du présent, de mon présent. Je n’y peux rien, c’est comme ça : quand je pratique un tirage selon mon rite, à chaque fois je reçois de la compréhension de mes problèmes du moment et du coup je ressors transformé. Je passe d’un « lieu » de pensée à un autre, c’est flagrant. C’est un dépaysement qui ne fait pas quitter « le pays », mais le rend nouveau, plus vaste et plus riche de possibilités qu’il ne semblait au départ. J’insiste sur l’adéquation subtile des tirages avec la situation présente. Tout est là, c’est quand le message reçu est parfaitement clair et adéquat qu’il procure le changement d’état d’esprit.
L’œuvre des chinois est considérable. Ils ont atteint, avec la sagesse des jours, l’ordre du monde.
Dans le Yi-King le passage du 4 (éléments) au 8 (dédoublement des 4 éléments donnant le trigramme) est basé sur le principe. Il faut noter que la position du Feu et de l’Air sont inversés, c’est une erreur. Ensuite, les chinois ont ré-appliqué le 8 au 8 en fondant l’hexagramme, qui est la somme de deux trigrammes. Ceci permettait de représenter les 64 situations qui se dégageaient des études antérieures. Mais il est important de comprendre que le passage du 8 au 64 n’a pas été exactement réalisé selon la règle ontologique ou principielle, il a été réalisé analogiquement selon l’apparence de la représentation choisie arbitrairement pour les trigrammes et hexagrammes.
L’hexagramme se constitue de deux trigrammes, ce qui permet en théorie de faire une interprétation technique guidée uniquement par l’ontologie, mais ce n’est pas ce qui est arrivé, les chinois ont utilisé l’aspect de la représentation, aspect métaphorique, pour donner le sens de l’hexagramme. Vu aujourd’hui c’est une dérive, une perte d’exigence sans doute justifiée par la difficulté tâche à réaliser, qui était d’incorporer les résultats tangibles (carapaces de tortues) d’une pratique multimillénaire en un système. Le flamboyant succès de cette tâche permet d’envisager l’ontologie fondamentale à un niveau bien supérieur à tout ce qui s’est fait depuis dans ce domaine.
La tâche ne pouvait alors être réalisée qu’avec l’aide de la poésie et, c’est l’unique objet de cet article, ils sont parvenus à un résultat absolument prodigieux qui fait de ce livre l’unique ouvrage vraiment opérationnel de magie, accordé en toute confiance à l’harmonie du monde.
On voit ici l’illustration parfaite de la conduite de la recherche ontologique fondamentale. Le résultat d’un travail dans ce domaine peut être enrichissant même si la recherche comporte des erreurs ou des approximations fondamentales. La condition est l’humilité et la capacité toujours nouvelle au doute.
On peut, on doit même, imaginer faire un jour la réécriture des 64 situations selon la pure règle ontologique. Mais les athlètes de ce mode de pensée n’existent plus, cette science-racine est à réinventer sur le temps long. Rappelons nous que notre civilisation plafonne dans cette recherche à la quaternité, et que dans sa négation de l’ordre fondamental ontologique elle ne se rend même pas compte de la richesse fulgurante de ce palier qu’à définitivement fondé Aristote. Comment dans ce cas dépasser la sublime approximation de la sagesse chinoise à 64 situations devenant qui plus est 4096 avec les traits changeants ?