Ontoar­chéo­lo­gie – 1

Je ne suis ni théo­lo­gien, ni histo­rien, ni philo­logue, ni philo­sophe, ni même diplômé de quoi que ce soit en Science, fût-elle dure ou molle. Et c’est sans impor­tance, c’est même, eu égard à l’es­prit de l’époque, le gage mini­mal d’in­dé­pen­dance pour abor­der ce sujet bien trop enfoui dans les poubelles de la Science et des Reli­gions. L’on­to­lo­gie formelle four­nit un recul extra­or­di­naire sur le sol de nos pensées, extra­or­di­naire étant le mot qui convient parfai­te­ment, puisqu’il ne devrait pas conve­nir dans le monde de sagesse qui n’est pas le nôtre, dans la mesure où l’or­di­naire actuel réfute l’on­to­lo­gie formelle. Méta­pho­rique­ment la Science est comme un arbre qui réfu­te­rait l’exis­tence de ses propres racines puisqu’il ne les voit pas.

C’est un point de vue. Il y en a un autre : pour moi l’on­to­lo­gie formelle est deve­nue ordi­naire. J’ai fabriqué des chemins de pensées diffé­rents, je les ai lente­ment mis à l’épreuve, renfor­cés, clari­fiés et c’est devenu une seconde nature de regar­der le monde de cette façon. Puisque je pense que l’on­to­lo­gie formelle est réelle, puisque l’ou­til onto­lo­gique que j’ai adopté en suivant les anciens de très près est simple et perti­nent, puisque j’ai respec­tueu­se­ment viré ma cuti hors du dictat Scien­ti­fique, pour toutes ces raisons et sans doute d’autres, je suis auto­risé à voir le monde comme personne et du coup je peux tirer des conclu­sions d’ap­pa­rence ébou­rif­fantes, mais qui sont d’une grande évidence. C’est là que mon ontoar­chéo­lo­gie, qui implique une onto­théo­lo­gie, se situe. Et ceci même si je suis d’ap­pa­rence un profane, un niais, un moins que rien aux idées bien trop simplistes pour être vraies. Imagi­nez qu’un apprenti Philo­sophe m’a un jour rétorqué, après des semaines d’ef­forts de ma part pour expo­ser l’ou­til : ça n’existe pas parce que si c’était le cas, ça aurait déjà été trouvé ! Ah oui, c’est vrai, c’est impa­rable, que je suis nul !

Bref. Je me sens encore obligé à des tas de précau­tions oratoires et j’ap­pré­cie d’au­tant mieux ma déci­sion de passer au mode récit pour filtrer/anti­ci­per ce qui va inévi­ta­ble­ment venir à l’es­prit du lecteur rigou­reux, même le mieux disposé. Mon récit archéo­lo­gique de l’on­to­lo­gie est d’une grande simpli­cité et se résume à quelques étapes déci­sives que j’ai évidem­ment dû sélec­tion­ner pour leur aspect axio­lo­gique central et déci­sif. Je ne suis pas néces­sai­re­ment exhaus­tif, d’au­tant plus que je ne parle que depuis ce que je connais pour y être né : la civi­li­sa­tion occi­den­tale.

Cette archéo­lo­gie de l’on­to­lo­gie est en soi onto­lo­gique­ment formelle, elle est construite très sérieu­se­ment sur le discer­ne­ment de l’ap­pro­pria­tion préhis­to­rique, proto­his­to­rique, histo­rique et moderne du prin­cipe que je passe mon temps à décrire sur ce site : si l’on­to­lo­gie formelle fonc­tionne, son archéo­lo­gie et sa théo­lo­gie fonc­tionnent aussi. Tout est contenu dans le terme « l’ap­pro­pria­tion », qui s’op­pose à ce que je veux faire et déli­vrer : « la compré­hen­sion », puisque l’ap­pro­pria­tion est problé­ma­tique. Il y a des courants majeurs civi­li­sa­tion­nels et chacun d’entre eux s’est appro­prié l’on­to­lo­gie formelle et l’a façonné à sa manière, de rustique à sophis­tiquée, de divi­ni­sante à nihi­liste, d’ir­ra­tion­nelle à ration­nelle. Mon approche se veut factuelle et discur­sive, son but est ratio­na­li­sant.

En matière d’on­to­lo­gie formelle, nous sommes les héri­tiers de discer­ne­ments très anciens. Le premier dont je vais parler est celui qui a produit les mono­théismes. Confor­mé­ment à l’on­to­lo­gie formelle, je prends en réfé­rence une forme (très souvent dyadique) qui résume et contient tout le reste qui appa­raît ensuite, par conta­gion avec ou sans erreur de signa­tures analo­giques. Ces dernières sont visi­ble­ment incon­tour­nables, je n’ai jamais rencon­tré d’on­to­lo­gies anciennes qui n’en contiennent pas. La posi­tion depuis laquelle je parle s’est obsti­né­ment construite sur des millé­naires et s’est renfor­cée consi­dé­ra­ble­ment ces temps derniers avec l’ex­plo­sion de la Science. Ajou­tez à cela ma persis­tance de tâche­ron et mon petit secret (l’In­ter­net) et vous aurez une idée de ce qui me permet l’ap­pa­rente outre­cui­dance de juger les erreurs d’in­croyables géants de la pensée : c’est préci­sé­ment que je suis l’hé­ri­tier colos­sa­le­ment fortuné de tous ces gens incroyables. Contrai­re­ment à ce qu’un regard super­fi­ciel pour­rait lais­ser à croire je ne juge pas les géants du passé, je les admire et les remer­cie pour ce qu’ils ont été : des gens qui essayent et qui trouvent.

Là encore, il me faut rappe­ler que ceux qui se trompent sont ceux qui essayent. On peut renver­ser l’af­fir­ma­tion, s’ils se sont trom­pés, c’est qu’ils ont essayé. Rien ne me révulse plus que ces critiques en mal de puis­sance qui se croient auto­ri­sés à démo­lir les œuvres de vrais penseurs sans même se rendre compte qu’ils le font depuis tout ce qu’a permis leur œuvre. Juchés sur les épaules de géants ils se prétendent plus grand qu’eux. Prenez en exemple certains vomis à la mode sur Freud qui voudraient réduire à un vulgaire escroc celui qui a instillé plus d’un siècle d’avan­cées en psycho­lo­gie. Il a boule­versé le puri­ta­nisme de son époque et l’a trans­for­mée. Nous sommes tous enfants de cette révo­lu­tion, mais certains s’au­to­risent à le malme­ner selon des critères qui préci­sé­ment n’au­raient pas eu lieu sans cette révo­lu­tion ! Contrai­re­ment à ces tristes person­nages, Freud n’avait pas cette supé­rio­rité appa­rem­ment écra­sante : il n’avait pas « tout lu Freud » ! Freud s’est trompé parfois ou souvent, c’est possible, on peut ou on doit en discu­ter, mais on ne peut pas méju­ger son œuvre pour cela.

Ceci pour dire que quand je vais par exemple affir­mer que « Platon s’est trompé », je le fais sans aucun état d’âme, sans aucun juge­ment de valeur de justi­cier vengeur. Platon est un géant qui a changé le monde, ce faisant il a instauré de mauvais chemins de pensée qui ont pris des tour­nures catas­tro­phiques parce qu’on n’a pas cher­ché à les contre­dire. Accep­ter benoi­te­ment l’in­failli­bi­lité d’un penseur clé est aussi stupide que de vouloir le réduire à néant pour des raisons futiles. Et si j’évoque ici des penseurs indi­vi­duels, il est évident que la logique est la même pour des reli­gions entières, ni bonnes à jeter, ni forcé­ment vraies.

Reve­nons aux mono­théismes. Ils ne sont pas trois, ils sont quatre. Le judaïsme a copié-collé ses textes bibliques à partir de l’exil de ses élites à Baby­lone. C’est d’une impor­tance capi­tale pour l’on­to­théo­lo­gie occi­den­tale et moyen-orien­tale puisque ces reli­gions découlent d’une seule équa­tion diver­se­ment inter­pré­tée. La construc­tion onto­lo­gique de la reli­gion perse révèle à travers ses divi­ni­tés l’op­po­si­tion [ordre/désordre] assi­mi­lée à [bien/mal] qui fera florès. Il est diffi­cile de montrer l’im­por­tance capi­tale de cette signa­ture qui est aujourd’­hui une source majeure d’in­com­pré­hen­sion du monde.

À peine je commence, à peine je fais un aparté. Quand je repré­sente une diade comme celle-ci, je le fais selon l’ordre analo­gique que je pense correct. Le Mazdéisme ne signait pas comme moi ses diades selon un absolu onto­lo­gique, il décou­vrait la valeur heuris­tique de l’on­to­lo­gie et avait asso­cié diverses autres signa­tures à celle que je déclare arbi­trai­re­ment comme primi­tive. Or ces diffé­rentes signa­tures s’avèrent parfois contra­dic­toires avec ce que je fais depuis mon savoir néces­sai­re­ment plus avancé. Mon problème est celui de la réfé­rence que je choi­sis en premier. Il y a un choix à opérer, qui est celui d’une conven­tion. Expli­ca­tion : le Mazdéisme effec­tue l’as­so­cia­tion qui perdu­rera du bien avec la lumière et du mal avec l’obs­cu­rité. Or ma signa­ture des deux est : [bien/mal][obscu­rité/lumière], donc bien est asso­cié à obscu­rité et mal à lumière. Évidem­ment, je peux justi­fier mes signa­tures par un procédé dont le Mazdéisme ne dispose pas, par consé­quent une aber­ra­tion est rele­vée. La ques­tion n’est pas de savoir si c’est moi qui aie tort ou raison d’af­fir­mer qu’il y a une erreur dans les asso­cia­tions du Mazdéisme : si j’ai tort, on arrête tout, car cela signi­fie que le prin­cipe même de l’on­to­lo­gie formelle est hors sujet.

La ques­tion est de réfé­ren­cer une signa­ture correcte sur les deux : soit je signe à l’évi­dence l’une et c’est l’autre qui est fausse, soit c’est le contraire. Le choix que je fais de prendre en réfé­rence [ordre/désordre] à quelque chose d’ar­bi­traire, je prends le choix de la diade la plus concep­tuelle, puisque ce sont les plus épurées.

Je peux aussi tempé­rer mon juge­ment binaire d’er­reur, mettant en cause mon juge­ment sans forcé­ment détruire l’on­to­lo­gie formelle, par la réflexion sur la tendance qui tend à prendre de la place dans divers contextes, tout parti­cu­liè­re­ment depuis que je pense réso­lu­ment selon [ordre/désordre] et non l’in­verse que ma civi­li­sa­tion utilise très impru­dem­ment quand elle prétend pour­voir de l’ordre avec ses poli­tiques du chaos et du renver­se­ment orwel­lien. Soyons extrê­me­ment conscients à ce propos que nombre de guerres meur­trières qui ont lieu main­te­nant sur la planète ont encore pour origine de tels choix onto­lo­giques primi­tifs.

L’ordre est obscur et tend vers le lumi­neux ; le désordre est lumi­neux et tend vers l’obs­cur. Oui, ça se complique, mais c’est normal, on est au cœur des choses, au commen­ce­ment d’une histoire multi­mil­lé­naire. Plus on remonte à l’ori­gine des concepts, plus on va vers une pureté et une sincé­rité du regard qui ne nous sont plus autant offerts qu’a­lors. L’ex­pres­sion antique des concepts n’est pas forcé­ment limpide, mais le fonc­tion­ne­ment du monde était le même, nous devons essayer d’ap­pré­hen­der ces expres­sions avec ce très ancien regard, qui peut sembler être pauvre d’ex­pres­sion, mais qui s’ac­com­pa­gnait d’une bien plus grande proxi­mité au réel que la nôtre, car nous avons certai­ne­ment à apprendre de cette dernière.

Ce qui inté­resse notre archéo­lo­gie, ce n’est pas spécia­le­ment qu’à ce moment-là l’hu­ma­nité commence à perce­voir intel­lec­tuel­le­ment l’ordre natu­rel des choses, c’est que certains courants domi­nants s’en sont empa­rés et ont créé des Reli­gions de la Vérité, qui sont des prises de pouvoir exclu­si­vistes qui renversent et déforment la véri­table décou­verte onto­lo­gique en l’ins­tru­men­tant. Ce que les Chinois vont nommer yin et yang est réca­pi­tulé selon une diade multi­forme dont les pôles ne sont plus des réali­tés imma­nentes, mais des affir­ma­tions dogma­tiques : si tu fais ça, c’est bien, sinon c’est mal. Le pouvoir s’in­cor­pore une struc­ture qu’il déforme à son avan­tage. Le mensonge appa­raît comme une couche au-dessus de la réalité, c’est bien du désordre qui s’op­pose à l’ordre, de la lumi­neuse ratio­na­lité qui ramène par nature au chaos.

Cette ligne de pensée qui repose sur l’unique diade [ordre/désordre] contient en germe l’en­semble des œuvres mono­théistes qui ne la remet­tront jamais en cause et qui ne pour­sui­vront jamais vrai­ment l’œuvre onto­lo­gique première, puisqu’elles ont remplacé le prin­cipe univer­sel par un prin­cipe anthro­po­mor­phique donné comme infaillible, inscrit dans des livres immuables, figeant l’on­to­lo­gie pour toujours. Utili­ser l’on­to­lo­gie ce n’est pas penser l’on­to­lo­gie, mais c’est quand même gran­dir. Les mono­théismes ont cessé de faire de l’on­to­lo­gie formelle un sujet d’étude (ils se sont quand même appro­prié celle des Grecs qui ne les contre­di­sait pas), mais ils n’en sont pas moins d’im­menses vecteurs de civi­li­sa­tion, ce serait aussi futile qu’a­veu­glant de vouloir les résu­mer à quelque erreur d’ai­guillage.

Les problèmes liés au fait d’avoir cessé la libre recherche onto­lo­gique en ses balbu­tie­ments se retrouvent dans les espèces de signa­tures que l’on est obligé d’ex­pri­mer avec des remarques, comme le fait qu’Ève (et les femmes en géné­ral) est à l’ori­gine de tous les ennuis du monde, ou bien que le corps est sale, ou encore que ce que les Chinois nomment le yang est à éradiquer dans certains cas. Pour perdu­rer un tel système est obligé de produire des contor­sions très habiles à partir d’in­ter­pré­ta­tions qui peuvent varier selon le contexte et où la posture d’au­to­rité, donc d’ar­bi­traire, est reine.

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