Malraux et le XXIe siècle

Inter­view d’An­dré Malraux, par Pierre Desgraupes, Le Point, 10 novembre 1975.
On m’a fait dire que le XXIe siècle sera reli­gieux. Je n’ai jamais dit cela bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incer­tain, mais je n’ex­clus pas la possi­bi­lité d’un événe­ment spiri­tuel à l’échelle plané­taire.

C’est bien ce dont je parle ici tout le temps. L’ou­til analo­gique réouvre les portes de compré­hen­sion du monde sensible qui ont été scel­lées tempo­rai­re­ment par l’hé­gé­mo­nie de la Raison.

Avant la Raison, régnait l’In­dif­fé­ren­cié. La Raison à créé une nouvelle réalité. En s’ar­ra­chant de l’in­cer­tain, elle a fait muter l’hu­ma­nité. Sur son élan déme­suré elle a cru pouvoir se déba­ras­ser de l’In­cer­tain, signant ainsi une folie nouvelle et terri­fiante, qui se remarque par l’am­pleur des destruc­tions appor­tées à notre planête, de la bombe atomique à l’ex­tinc­tion massive des espèces qui nous rend plus dange­reux que le plus grand des cata­clysmes. Pour la première fois en 4 milliards d’an­nées des vivants ont la capa­cité de détruire toute la vie sur terre.

Cette puis­sance du Certain recon­trant la puis­sance de l’In­cer­tain, selon le prin­cipe du monde connu depuis des millé­naires, est ce qui va arri­ver. L’In­cer­tain ne peut pas être balayé d’un revers, tout le monde croit a quelque chose, tout le monde a une histoire, des opinions, des désirs, de l’amour, etc.

Ce retour à l’ori­gine  de la Sagesse après le voyage extra­or­di­naire de la Raison, sans que l’un l’em­porte sur l’autre, sera cet événe­ment spiri­tuel dont parle Malraux. Nous aurons des choses à croire tous ensemble, qui nous relient au passé sans le renier ou le dénier. L’ou­til analo­gique est une idée pour aller vers cela, que tant de gens dési­rent et expriment, chacun à leur manière, de Heideg­ger au mili­tant new-age.

J’ai tant pratiqué l’autre pensée que j’ai la convic­tion ancrée qu’elle sera unifiante en acte une fois que l’on aura compris qu’elle l’est vrai­ment en puis­sance. Elle est à mes yeux la récom­pense, récom­pense pour ces millé­naires de souf­frances et de recherches inlas­sables, d’une forme de vie incroya­ble­ment intel­li­gente, preuve pour notre époque que si le combat est néces­saire, il n’est pas tout.

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