Georges Ohsawa

Georges Ohsawa est connu pour sa théo­rie de la nutri­tion : la macro­bio­tique. Cette approche repose exclu­si­ve­ment sur l’as­so­cia­tion yin/yang qui est ce qui nous inté­resse ici.

Son approche prin­ci­pielle revêt une impor­tance parti­cu­lière ici pour deux raisons majeures indé­pen­dantes de la macro­bio­tique.

Fait des plus inté­res­sants, il est le premier depuis Confu­cius à effec­tuer un véri­table travail de recherche et d’ex­pli­ca­tion sur le yin et le yang. On peut consi­dé­rer que, peu ou prou, il est sans doute le seul et unique théo­ri­cien au monde de la double notion depuis Confu­cius. Tous les auteurs grand public qui ont suivi cette voie là en Occi­dent n’ont fait que le para­phra­ser et l’on peut dire que nous lui devons tous indi­rec­te­ment notre connais­sance de ce sujet, puisqu’il est le seul à en avoir parlé et mieux, à l’avoir exploité.

Second fait, des plus trou­blant celui-là, Ohsawa a signé les duali­tés chinoises clas­siques « à sa mode » : la moitié de ses signa­tures est en contra­dic­tion avec les signa­tures tradi­tion­nelles chinoises si l’on se réfère à Marcel Granet. Il a commis une telle énor­mité sans jamais mention­ner l’exis­tence de ces écarts, comme s’il n’avait pas remarqué. Ses suivants ont emboité le pas avec tout autant d’in­sou­ciance.

Ce compor­te­ment est des plus désta­bi­li­sant. En effet, si une signa­ture sur deux est contra­dic­toire, alors la signa­ture est une pratique statis­tique­ment aléa­toire, donc le Prin­cipe Unique ne tient pas, puisqu’il n’a aucune possi­bi­lité de fonde­ment consen­suel. Le premier à parler sérieu­se­ment de la notion millé­naire est celui qui la détruit, comme par mégarde. Épous­tou­flant.

Ohsawa s’est rendu compte de ces contra­dic­tions et semble avoir colmaté la brèche avec les moyens du bord sans rencon­trer trop de critique autour de lui, ce qui n’est pas un honneur. Il a édicté une règle de base, que je pense complè­te­ment inte­nable et qui est la source de sa destruc­tion du prin­cipe, c’est que la signa­ture est contex­tuelle, un yin peut deve­nir yang et réci­proque­ment selon les circons­tances.

Cela met à genoux toute préten­tion à l’uni­ver­sa­lité de la signa­ture et donc du prin­cipe. Il est à noter que cette réflexion sur l’œuvre d’Oh­sawa ne s’étend pas néces­sai­re­ment à la macro­bio­tique. Les deux travaux d’Oh­sawa, s’ils sont forte­ment liés, sont indé­pen­dants quand à leurs objets, les concepts nutri­tion­nels doubles qu’il emploie sont tota­le­ment sépa­rés des concepts double qu’il décrit dans son Prin­cipe Unique.

L’ex­pli­ca­tion de cet écart s’est fina­le­ment avérée assez simple… Ohsawa a été formé en Occi­dent. Si l’on étudie les carac­té­ris­tiques de ses signa­tures, on réalise que toutes les inver­sions qu’il produit par rapport à la norme de fait chinoise découlent de l’idéa­lisme plato­ni­cien qui ne nous a jamais quitté, donnant l’idée comme plus réelle que le réel lui-même. C’est une erreur des plus clas­sique, c’est l’er­reur occi­den­tale par excel­lence. Je sais, je l’ai commise des années durant et sa recti­fi­ca­tion a été plutôt longue et doulou­reuse pour moi.

Georges Ohsawa – Le Prin­cipe Unique

Georges Ohsawa – Le Prin­cipe Unique de la philo­so­phie et de la science d’Ex­trême-Orient

Le prin­cipe unique (la consti­tu­tion-concep­tion de la vie et de l’Uni­vers de l’Ex­trême-Orient) n’est en réalité qu’une méthode de clas­si­fi­ca­tion dialec­tique pratique et univer­selle, acces­sible à tout le monde, qui embrasse tout ce qui existe dans l’uni­vers et l’Uni­vers lui-même.
Georges Ohsawa

Jean François Mattéi – L’ordre du monde

On peut dire que dans ce livre Mattéi se laisse aller à moins de rete­nue que d’ha­bi­tude. La quatrième de couver­ture donne une idée de cela :

L’ordre du monde : l’ex­pres­sion paraî­tra suspecte à ceux qui ont choisi le vide du concept contre la pléni­tude du sens et refusent à la raison moderne le droit de recon­naître sa quadruple racine pour édifier une éthique à la mesure de l’être.

C’est de la colère.

On peut bien, aujourd’­hui, oublier l’injonc­tion carté­sienne de chan­ger plutôt ses désirs que l’ordre du monde, et se satis­faire, Ciel et Terre abolis, d’une raison qui achève son empire sur un désert. C’est toujours le monde, fina­le­ment, qui a le dernier mot.

Et du pessi­misme, de l’im­puis­sance qui fait écho au désar­roi de Heideg­ger face à l’in­com­pré­hen­sion.

C’est encore un ouvrage clé pour moi. Celui ci m’a montré qu’une colère sourd de cette lignée d’éru­dits. Elle me les rend plus réels. Le contenu de ce livre revient inlas­sa­ble­ment sur le problème de l’ou­bli de l’Être, conju­gué en « Oubli de l’ou­bli de l’Être » par le contem­po­rain qui semble admi­rer Heideg­ger, mais l’en­ferme dans une parfaite incom­pré­hen­sion de son œuvre.

J’ai enfin vrai­ment compris par ce livre que j’avais des frères en pensée, sorte de consé­cra­tion de 20 années de recherches. J’ai aussi pu oser appo­ser la signa­ture de l’Ordre et du Désordre, notion au centre du monde depuis Zoroastre, fonda­teur du premier des mono­théismes.

J’em­prunte désor­mais l’ex­pres­sion « L’ordre du monde » en fondant sa légi­ti­mité sur ce livre, œuvre d’un ami en pensée.

Heideg­ger et les philo­sophes

L’ap­pré­cia­tion de Heideg­ger par mes contem­po­rains est horri­ble­ment faus­sée. On ne trouve dans toute la philo­so­phie offi­cielle que deux postures concer­nant la pensée heideg­gé­rienne, aussi peu crédibles l’une que l’autre. Soit il est un nazi pour avoir prôné le sol natal, ce qui annule toute sa pensée, soit l’axe le plus perma­nent de sa recherche permet de le juger parfois stupide d’un simple revers de la main par les mêmes qui le déclarent pour­tant le penseur le plus impor­tant du XXe siècle. D’un côté comme de l’autre on semble déli­bé­ré­ment igno­rer la logique. Ces deux façons d’en­vi­sa­ger Heideg­ger, qui se présentent l’une comme l’agres­sion et l’autre comme la défense du penseur, ne sont en fait que deux façons d’es­sayer de tuer son œuvre : l’une, fasciste voulant la déca­pi­ter sans procès, l’autre hypo­crite l’étouf­fer, sans procès non plus.

Selon la pseudo-logique des premiers, il faudrait nier toute l’œuvre de Platon qui deux fois dans sa vie se mit au service du tyran. Ce paral­lèle avec Platon n’est jamais évoqué par ses détrac­teurs. Pour­tant l’un comme l’autre lorgnaient vers le poli­tique en pensant pouvoir l’amé­lio­rer. Croire qu’un philo­sophe peut appor­ter son grain de sel à la poli­tique, c’est sans doute une mauvaise tenta­tion, une erreur disons. Mais dans les deux cas on peut déduire des témoi­gnages que les inten­tions étaient bonnes au départ.

Il faut dire les choses comme elles sont : l’œuvre de Heideg­ger est codée, et ce code est parfai­te­ment illi­sible si on ne croit pas dans le prin­cipe ou pire si on le nie par auto­ma­tisme. Les penseurs de l’école domi­nante ne peuvent tech­nique­ment pas envi­sa­ger le prin­cipe et sont donc forcés d’am­pu­ter une grande part des œuvres d’au­teurs qu’ils révèrent pour­tant. Les plus grands sont les plus malins. Ils usent du prin­cipe en le niant comme il faut. On trouve chez Kant par exemple une accu­mu­la­tion fasci­nante de signa­tures duales, trini­taires, quater­naires et même octales, mais à aucun moment un prin­cipe commun à ces repré­sen­ta­tions n’est évoqué par lui, c’est Heideg­ger lui même qui l’af­firme. La remarque de Benja­min sur Kant, dans sa Philo­so­phie qui Vient, ne tient réso­lu­ment pas compte de ce vide quand elle décrit chez Kant ce que Confu­cius à inscrit dans son apho­risme.

Dans ce blogue des dizaines d’équa­tions analo­giques multi­dis­ci­pli­naires montrent sans équi­voque leur simi­la­rité onto­lo­gique avec la quadra­ture aris­to­té­li­cienne, c’est une signa­ture recon­nais­sable entre mille.

Cette quadra­ture, commen­ce­ment de la pensée heideg­gé­rienne, est dans les faits un outil clas­sique et secret du cher­cheur, quelle que soit sa disci­pline. Jamais la philo­so­phie, ni les prudents cher­cheurs, n’en parlent comme d’un fait : puisqu’é­tant prin­ci­pielle elle ne peut exis­ter, il faut donc se taire. Pour ces cher­cheurs contraints de respec­ter ce serment écrit nulle part, il faut donc mentir sur leur métho­do­lo­gie, sous peine de discré­dit. Ce n’est pas une posture raison­nable pour le firma­ment de la raison que pense être la philo­so­phie.

Yi-King et oracle

On peut abor­der le Yi-King de diffé­rentes façons. Fonda­tion de toute la culture chinoise, profond et origi­nal livre de la sagesse des jours, exposé d’on­to­lo­gie fonda­men­tale, oracle, et sans doute encore d’autres approches.

Oracle signi­fie quelque chose comme dispo­si­tif de contact avec la synchro­ni­cité. L’oracle n’est pas de la prédic­tion, il n’est un outil de déci­sion qu’in­di­rec­te­ment, par la compré­hen­sion du moment qu’il apporte. Fonda­men­ta­le­ment l’oracle nous dit ce que nous savions déjà, mais en isolant l’im­por­tant de tout ce que nous savions sans doute déjà au sein de la multi­pli­cité des hypo­thèses, avec leurs poten­tielles erreurs de juge­ments. Il donne du recul et change notre manière de consta­ter le réel, le moment que nous vivons.

Le Yi-King a un mode d’em­ploi subtil. Il étonne toujours celui qui sait s’y prêter. En tout cas c’est mon cas. Il m’a souvent servi de clari­fi­ca­teur (aide à la déci­sion, anti­dé­pres­seur) et même parfois tiré de situa­tions compliquées avec des gens pas clairs. Je ne suis pas un prosé­lyte de ce livre, je suis un esprit exigeant et ration­nel, capable d’ex­pé­riences de pensée et d’es­prit critique aussi bien sur elles que sur mes propres juge­ments. Et juste­ment : igno­rer l’ac­cu­mu­la­tion de constats surpre­nants, leur récur­rence même, ce ne serait pas très rigou­reux.

Ce que je dis ici est ce qui s’est imposé à moi, et qui conti­nue année après année, de ma pratique oracu­laire du Yi-King. Quasi­ment chaque tirage du Yi-King que j’ai effec­tué depuis peut-être 10 ou 15 ans à été un ensei­gne­ment lumi­neux du présent, de mon présent. Je n’y peux rien, c’est comme ça : quand je pratique un tirage selon mon rite, à chaque fois je reçois de la compré­hen­sion de mes problèmes du moment et du coup je ressors trans­formé. Je passe d’un « lieu » de pensée à un autre, c’est flagrant. C’est un dépay­se­ment qui ne fait pas quit­ter « le pays », mais le rend nouveau, plus vaste et plus riche de possi­bi­li­tés qu’il ne semblait au départ. J’in­siste sur l’adé­qua­tion subtile des tirages avec la situa­tion présente. Tout est là, c’est quand le message reçu est parfai­te­ment clair et adéquat qu’il procure le chan­ge­ment d’état d’es­prit.

L’œuvre des chinois est consi­dé­rable. Ils ont atteint, avec la sagesse des jours, l’ordre du monde.

Dans le Yi-King le passage du 4 (éléments) au 8 (dédou­ble­ment des 4 éléments donnant le trigramme) est basé sur le prin­cipe. Il faut noter que la posi­tion du Feu et de l’Air sont inver­sés, c’est une erreur. Ensuite, les chinois ont ré-appliqué le 8 au 8 en fondant l’hexa­gramme, qui est la somme de deux trigrammes. Ceci permet­tait de repré­sen­ter les 64 situa­tions qui se déga­geaient des études anté­rieures. Mais il est impor­tant de comprendre que le passage du 8 au 64 n’a pas été exac­te­ment réalisé selon la règle onto­lo­gique ou prin­ci­pielle, il a été réalisé analo­gique­ment selon l’ap­pa­rence de la repré­sen­ta­tion choi­sie arbi­trai­re­ment pour les trigrammes et hexa­grammes.

L’hexa­gramme se consti­tue de deux trigrammes, ce qui permet en théo­rie de faire une inter­pré­ta­tion tech­nique guidée unique­ment par l’on­to­lo­gie, mais ce n’est pas ce qui est arrivé, les chinois ont utilisé l’as­pect de la repré­sen­ta­tion, aspect méta­pho­rique, pour donner le sens de l’hexa­gramme. Vu aujourd’­hui c’est une dérive, une perte d’exi­gence sans doute justi­fiée par la diffi­culté tâche à réali­ser, qui était d’in­cor­po­rer les résul­tats tangibles (cara­paces de tortues) d’une pratique multi­mil­lé­naire en un système. Le flam­boyant succès de cette tâche permet d’en­vi­sa­ger l’on­to­lo­gie fonda­men­tale à un niveau bien supé­rieur à tout ce qui s’est fait depuis dans ce domaine.

La tâche ne pouvait alors être réali­sée qu’a­vec l’aide de la poésie et, c’est l’unique objet de cet article, ils sont parve­nus à un résul­tat abso­lu­ment prodi­gieux qui fait de ce livre l’unique ouvrage vrai­ment opéra­tion­nel de magie, accordé en toute confiance à l’har­mo­nie du monde.

On voit ici l’illus­tra­tion parfaite de la conduite de la recherche onto­lo­gique fonda­men­tale. Le résul­tat d’un travail dans ce domaine peut être enri­chis­sant même si la recherche comporte des erreurs ou des approxi­ma­tions fonda­men­tales. La condi­tion est l’hu­mi­lité et la capa­cité toujours nouvelle au doute.

On peut, on doit même, imagi­ner faire un jour la réécri­ture des 64 situa­tions selon la pure règle onto­lo­gique. Mais les athlètes de ce mode de pensée n’existent plus, cette science-racine est à réin­ven­ter sur le temps long. Rappe­lons nous que notre civi­li­sa­tion plafonne dans cette recherche à la quater­nité, et que dans sa néga­tion de l’ordre fonda­men­tal onto­lo­gique elle ne se rend même pas compte de la richesse fulgu­rante de ce palier qu’à défi­ni­ti­ve­ment fondé Aris­tote. Comment dans ce cas dépas­ser la sublime approxi­ma­tion de la sagesse chinoise à 64 situa­tions deve­nant qui plus est 4096 avec les traits chan­geants ?

Inter­ro­gez l’Être !

« Inter­ro­gez l’Être ! Et dans son silence – entendu comme le lieu de nais­sance de la parole – répond le dieu. Vous avez beau ratis­ser tout l’étant, nulle part ne se montre la trace du dieu. »

Le lieu de l’Être est aussi le lieu du divin. Le divin est inté­rieur, il est la source en nous qui est, jaillis­sant dans l’in­tui­tion. Ce lieu est dési­gné par la « synchro­ni­cité » de Jung, ou encore par le « ça » freu­dien. C’est l’ir­ra­tion­nel.

Chez Heideg­ger, la place des dieux est vue comme supé­rieure, trans­cen­dante alors qu’elle est imma­nente. Cela conduit à un problème de lisi­bi­lité quand on tente de signer sa quater­nité prin­ci­pale.

Le drame de cette intel­li­gence tech­nique est qu’elle se coupe de tout lien à un ordre supé­rieur. C’est cet ordre, cette mesure que vient fina­le­ment poin­ter le thème de l’être et de son oubli.

Or il vaut mieux dire que cet ordre est à la fois infé­rieur, anté­rieur, premier.

Synchro­ni­cité

La synchro­ni­cité est une appel­la­tion de Carl Gustav Jung. Elle évoque les événe­ments à la fois haute­ment impro­bables et char­gés de sens, qui surgissent le plus souvent dans la vie des gens aux moments de forte impli­ca­tion dans le quoti­dien.

Une personne chère me laisse un livre à elle en insis­tant lour­de­ment pour que je le lise, ceci pour­tant malgré mon refus motivé du thème. Des mois plus tard, je lui rend le livre que je n’ai pas même ouvert, le lui disant. Peu de temps après, une occa­sion se présente à elle de me faire un petit cadeau. Je déballe et je trouve encore une fois ce livre, neuf, puisqu’elle l’a racheté pour l’oc­ca­sion. Mon regard se fait critique devant le peu de consi­dé­ra­tion dont elle fait preuve à cet égard. C’est comme un acte manqué. Machi­na­le­ment, j’ouvre le livre et je suis surpris. Je le feuillette avec incré­du­lité et mon visage désor­mais affiche une franche hila­rité : toutes les pages du livre sont entiè­re­ment blanches ! en dehors de la couver­ture, rien n’est imprimé !

« Je t’avais bien dit que je ne voulais pas le lire ! Tu vois, il est d’ac­cord ! »

La notion de synchro­ni­cité recouvre aussi ce que l’on appelle parfois « trans­mis­sion de pensées ».

Je me réveille bruta­le­ment en pleine nuit sans raison. Je m’as­sois, regarde le télé­phone. J’at­tends quelques secondes. Sonne­rie, je décroche, c’est elle, elle est très en colère. Je me suis réveillé au moment précis ou elle a décidé de m’ap­pe­ler. Cette histoire est arri­vée deux fois en peu de temps.

Tout le monde connait des moments étranges de ce genre. Il est plus que probable que la croyance la plus ancienne en des êtres supé­rieurs découle direc­te­ment d’ob­ser­va­tions récur­rentes de ce type de phéno­mène, qui donnent forte­ment l’im­pres­sion qu’une intel­li­gence exté­rieure et nous dépas­sant est à l’œuvre. En réalité, il faudrait parler non d’une intel­li­gence exté­rieure à l’ob­ser­va­teur de la synchro­ni­cité, mais d’une certaine intel­li­gence inté­rieure. La synchro­ni­cité vécue n’est pas causale, même selon le mysti­cisme : elle n’in­dique pas une desti­née ou quelque chose d’im­muable ; elle indique que l’on est en train de vivre inten­sé­ment quelque chose avec le monde qui nous entoure, dont elle nous révèle l’im­por­tance par une espèce d’éclair de génie toujours renou­velé. Spécu­ler sur ce génie est l’oc­cu­pa­tion des reli­gions. On peut se défi­nir Sans-Dieu, on peut même réfu­ter tous les dieux, mais on ne peut évacuer le phéno­mène qui a présidé à leur nais­sance dans l’es­prit de l’homme. Les reli­gions sont des doigts qui dési­gnent une lune, la synchro­ni­cité jungienne aussi ; elles sont critiquables, mais la lune, étrange et mysté­rieuse, existe bel et bien.

Même si elle semble logique­ment être la mère de tous les mysti­cisme, la synchro­ni­cité n’est pas mira­cu­leuse ni magique ; elle est le réel en acte. Elle ne peut ni être prou­vée, ni être provoquée, mais elle ne peut non plus être réfu­tée sans être aveu­glé par son impos­si­bi­lité théo­rique causa­liste. Ses carac­té­ris­tiques nous font immanqua­ble­ment penser à la simul­ta­néité prévue par Einstein et démon­trée par A. Aspect, de l’in­tri­ca­tion quan­tique (quand deux parti­cules intriquées sont sépa­rées, elles restent corré­lées : si l’on change le spin de l’une, le spin de l’autre est modi­fié en même temps, peu importe la distance les sépa­rant).

Le terme de synchro­ni­cité désigne un ordre imma­nent incom­pré­hen­sible par la raison, mais qu’il est pour­tant possible de perce­voir. Certains peuvent même imagi­ner influer sur cet ordre en se mettant dans certaines dispo­si­tions d’es­prit de récep­ti­vité. Il est des plus inté­res­sant d’en­vi­sa­ger que le Yi-King chinois, vu comme instru­ment de divi­na­tion, est en quelque sorte un parfait mode d’ac­cès à cet ordre. Mais encore une fois, cette synchro­ni­cité provoquée du Yi-King, quand elle est réus­sie, n’est pas la divi­na­tion de ce qui doit adve­nir, c’est une indi­ca­tion de ce qui se passe présen­te­ment pour qu’é­ven­tuel­le­ment le récep­teur puisse influer sur le futur. En quelque sorte, le tirage du Yi-King nous apprend ce que nous savons déjà, mais en isolant le plus impor­tant de tout ce que nous savions déjà. L’ap­proche du Yi-King, sous l’angle oracu­laire, est un éclai­rage satis­fai­sant de la synchro­ni­cité.

De nombreuses personnes vivent, le plus souvent qu’il leur est possible, sous le signe de la synchro­ni­cité, sans même connaître ce terme. Ce type d’at­ti­tude est une foi qui ne se dit pas néces­sai­re­ment dans une reli­gion, même si, visi­ble­ment, toute reli­gion commence par là. Ce que Jung nomme « synchro­ni­cité », ce que les chré­tiens nomment « Provi­dence » et les boud­dhistes « karma », sont des mani­fes­ta­tions rigou­reu­se­ment inex­pli­cables par la science, mais indu­bi­tables parce que le plus souvent analo­gique­ment limpides pour tout obser­va­teur, malgré une proba­bi­lité abso­lu­ment infime qu’elles se produisent par la loi du chaos. C’est tout simple­ment un phéno­mène natu­rel et même presque banal pour certains, habi­tués à ce mode de penser. Dans l’exemple cité plus haut, fina­le­ment le livre n’est pas imprimé, ce qui corres­pond sans équi­voque pour quiconque à mon refus de le lire ; la proba­bi­lité de rencon­trer à notre époque ultra-tech­ni­ci­sée un livre non imprimé par erreur est déjà extrê­me­ment faible en soi ; cette proba­bi­lité rappor­tée au sens de l’his­toire que j’ai vécue devient tech­nique­ment nulle.

Jung fait une propo­si­tion des plus inté­res­sante : il met en rela­tion la causa­lité scien­ti­fique et la synchro­ni­cité, comme étant oppo­sées et complé­men­taires.

La désin­té­gra­tion radio­ac­tive est appa­rue comme un effet sans cause, donnant à penser que la causa­lité n’est pas la loi ultime de la nature

La réso­nance analo­gique est parfaite pour nous, avec de grands thèmes clas­siques.

Dyade
Causa­lité
Synchro­ni­cité
4 dyades
Diachro­nie Série
Synchro­nie Paral­lèle

Mattéi – Heideg­ger et Hölder­lin. Le Quadri­parti

Heideg­ger et Hölder­lin. Le Quadri­parti
Jean-François Mattéi

Ce livre là est celui qui a assis en moi ce qui n’était encore qu’une impres­sion : Heideg­ger a dési­gné toute sa vie durant l’objet qui est aussi celui de ma quête depuis deux décen­nies. Muni de cette confir­ma­tion j’ai enfin trouvé un sol solide, une conni­vence certes encore diffi­cile à cerner, mais nette­ment établie.

Tout en rete­nue dans ce livre, Jean François Mattéi est celui qui a exposé clai­re­ment ce que tout le monde refuse de recon­naître chez Heideg­ger, la quête perma­nente d’un méta­phy­si­cien croyant en autre chose que la Sainte et Intou­chable Raison des raison­neurs. Oui, un croyant. Et pour être plus précis, un croyant sachant qu’il croit, par oppo­si­tion à ceux qui croyant ne rien croire prétendent déte­nir une vérité hégé­mo­nique.

Le langage de Heideg­ger est hermé­tique. Il l’est pour tout le monde, mais il s’éclaire si l’on connaît la constante chez ce penseur. Depuis ses 18 ans, âge auquel on lui a offert la fameuse disser­ta­tion de Franz Bren­tano il n’a pas changé de direc­tion, même lors du tour­nant.

Mattéi est celui qui a osé dire ces choses. On peut lire des tas de livre érudits ou simples sur Heideg­ger qui passent toutes à côté du plus impor­tant en un silence pesant. J’avais débuté avec le livre « Heideg­ger » de Georges Stei­ner, qui m’a tout dit, mais sans l’es­sen­tiel. C’est un excellent exemple de ce que j’ai rencon­tré partout ailleurs que chez Mattéi et ses amis.

Quatrième de couver­ture

Heideg­ger a voulu rani­mer la ques­tion du sens de l’être en prenant le « tour­nant » qui, en même temps que son dépas­se­ment, effec­tue l’ap­pro­pria­tion de la méta­phy­sique. Si celle-ci ne peut saisir la dimen­sion origi­naire dans laquelle elle se déploie, il lui reste à évoquer l’énigme de sa prove­nance : ce dont on ne peut parler, il faut le dire.

Telle est cette unique pensée que Heideg­ger a retrou­vée dans la poésie hölder­li­nienne, des cours sur La Germa­nie et Le Rhin à la confé­rence Terre et Ciel de Hölder­lin. On a inter­prété la rencontre des deux écri­vains souabes, dans leur appel au « retour­ne­ment natal », comme une justi­fi­ca­tion du tota­li­ta­risme, et l’on a dénoncé, avec Adorno, ce pathos de l’ori­gine qui réduit la pensée à une fixa­tion narcis­sique au peuple alle­mand.

Il n’y a pour­tant aucune confu­sion entre le mythe natal et la mytho­lo­gie nazie. Ce que Heideg­ger a cher­ché dans Hölder­lin, c’est moins le poète de la terre-mère que l’épreuve de la vérité de l’être qui commande le quadrillage de la méta­phy­sique. C’est bien Aris­tote, avec le concert des quatre causes, qui a conduit Heideg­ger sur la voie de Hölder­lin.

Car si l’étant se dit de multiples façons, pourquoi ces façons se trouvent-elles au nombre de quatre ? L’énigme de la méta­phy­sique recouvre l’énigme de l’ « autre pensée », celle qui ouvre le monde selon les nervures du Quadri­parti. Terre et Ciel, Divins et Mortels expriment les harmo­niques de l’être où, à la croi­sée des chemins, s’unissent ce que le penseur nomme les « puis­sances de l’ori­gine », et le poète, les « voix du Destin ».

J.-F.M.

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2003-v59-n3-ltp757/008800ar.pdf

Bren­tano – Aris­tote les diverses accep­ta­tions de l’être

Aris­tote les diverses accep­ta­tions de l’être
Franz Bren­tano

Quatrième de couver­ture

Cette disser­ta­tion légen­daire de Franz Bren­tano (1838–1917), éditée à Fribourg en 1862, prend pour fil conduc­teur de son inter­pré­ta­tion de la « méta­phy­sique » comme science de « l’être en tant qu’être » le leit­mo­tiv : « l’être se dit pluriel­le­ment ». Mais quelle en est alors la signi­fi­ca­tion directe et unitaire ?
L’am­bi­tion de Bren­tano est de recons­ti­tuer une doctrine dont il s’agit à la fois de montrer et de sauver la cohé­rence. Le primat accordé à l’ac­cep­ta­tion caté­go­riale de l’être amène à resti­tuer un « arbre généa­lo­gique » des caté­go­ries dont le chatoie­ment corres­pond stric­te­ment à la diver­sité des modes de prédi­ca­tion de la « substance première ». Même si la ques­tion reste posée de savoir si la pluri­vo­cité de l’être se ramène essen­tiel­le­ment à la diver­sité caté­go­riale, ou si, au contraire, les caté­go­ries n’illus­trent qu’une plura­lité restreinte, au sein d’une accep­ta­tion de l’être dont elles déclinent les « moda­li­tés » ou les « figures », mais dont rien ne dit qu’elle serait souve­raine, cette magis­trale initia­tion demeure un jalon incon­tour­nable dans l’his­toire de la réap­pro­pria­tion moderne d’Aris­tote et du problème que pose la consti­tu­tion d’une onto­lo­gie.

Traduit de l’al­le­mand par Pascal David, profes­seur à l’uni­ver­sité de Brest.

Vrin – Biblio­thèque des Textes Philo­so­phiques
208 pages –
ISBN 978–2–7116–1127–0 – décembre 1992