Scien­tisme

Le scien­tisme est un mouve­ment philo­so­phique issu du posi­ti­visme, lequel consi­dère la connais­sance scien­ti­fique comme la connais­sance abso­lue. Son prin­cipe est que la science satis­fait tous les besoins de l’in­tel­li­gence humaine.
La Philo – SCIENTISME (DÉFINITION)

Il est très dommage que le terme de scien­tisme n’ait plus cours aujourd’­hui, dans la mesure ou l’idéo­lo­gie qu’il prônait est encore parfai­te­ment domi­nante de nos jours, quoique silen­cieu­se­ment. Si plus personne ne se réclame aujourd’­hui de ce mouve­ment idéo­lo­gique du XIXe, il est certain qu’en parti­cu­lier la commu­nauté scien­ti­fique et en géné­ral par son biais l’en­semble des acteurs ration­nels (gouver­ne­men­tal, poli­tique, marchand, média­tique et même cultu­rel) de la société mondiale se comportent exac­te­ment comme si sa perti­nence idéo­lo­gique n’avait en rien décru depuis au moins un siècle. Il faut dire que les prémisses de ce mouve­ment sont profon­dé­ment intriquées aux racines de la philo­so­phie et n’ont jamais été fonda­men­ta­le­ment remises en cause.

Les argu­ments méta­phy­sique contre l’idéo­lo­gie scien­tiste n’ont pas porté atteinte à cette croyance, ils l’ont juste rendue honteuse. L’aban­don du terme qui a suivi les nombreux et effi­caces commen­taires a juste effacé la honte.

Tous les scien­ti­fiques sans excep­tion ont tété aux mamelles du système éduca­tif, de la mater­nelle à l’uni­ver­sité, dont toute idéo­lo­gie est étayée par la philo­so­phie millé­naire, dont toute idéo­lo­gie s’est struc­tu­rée et ossi­fiée préci­sé­ment par le système éduca­tif, cente­naire quant à lui. C’est une sacrée réfé­rence que personne ne peut faci­le­ment contre­dire et encore moins renver­ser chez d’autres.

Les scien­ti­fiques ne sont pas des philo­sophes, ils n’ont pas le temps pour cela puisque l’ac­ti­vité disci­pli­naire est par défi­ni­tion exclu­si­viste. Chaque disci­pline hérite de la philo­so­phie certaines habi­tudes de pensée qu’au­cun d’eux n’ira jamais véri­fier, ce qui est tout à fait logique et cohé­rent : qui ressen­tira le besoin de véri­fier les lois de chaque outil qu’il utilise, sachant que nombre d’autres avant lui l’ont utilisé avec succès ?

Pas besoin, n’est-ce pas ? et pas besoin non plus de véri­fier chaque « vérité » du prodi­gieux désordre qu’est la philo­so­phie… Alors quand quelque philo­sophe ou quelque reli­gieux vient à parler autre­ment que la tradi­tion, on n’écoute pas, c’est inutile. On en reste aux valeurs sures : quand la règle préside à la réalité (Kant), quand l’idée est plus réelle que le réel (Platon), être un spécia­liste de l’abs­trac­tion ne peut être ressenti que comme une supé­rio­rité incon­tes­table.

Le scien­tisme s’est tu, mais le scien­tisme règne. C’est pour cette raison qu’il faut réveiller ce terme, il faut inci­ter les penseurs du scien­tisme souter­rain à géné­rer des textes de foi sur leurs prin­cipes et à les défendre pour ce qu’ils sont, c’est à dire le support irra­tion­nel indis­pen­sable de leur commu­nauté. En taisant l’obé­dience scien­tiste, on ferme la porte à d’autres ques­tions jamais posées. En effet, sur la base de la croyance en l’hé­gé­mo­nie ratio­na­liste, s’em­pilent encore d’autres croyances à l’as­pect faus­saire de science. Le hasard darwi­niste est un exemple fort de l’im­pos­si­bi­lité de discu­ter la part idéo­lo­gique que contient cette science incon­tes­table par ailleurs. Sur ce point, on parle à des scien­ti­fiques qui s’en remettent à un dogme de manière pure­ment rhéto­rique en omet­tant tout parti­cu­liè­re­ment le « peut-être » qui manque à cette toute petite partie de la théo­rie qui est à la fois invé­ri­fiable et non-inva­li­dable, mais qui cris­tal­lise pour­tant depuis des décen­nies des oppo­si­tions violentes entre personnes intel­li­gentes.

Croyance, obédience, oui, le scien­tisme est une reli­gion de fait. Elle est même la reli­gion qui domine toutes les autres, celle qui en ce début de XXIe est en train de faire passer les reli­gion de milliards d’hu­mains pour de vulgaires sectes d’im­bé­ciles aux inten­tions douteuses, sans sembler remarquer un seul instant que le remplaçant qu’ils imposent par la force est d’une pauvreté crasse, d’un drama­tique vide de sens qui se compense comme il peut par l’ex­pé­dient univer­sel du profit pécu­niaire, par la frau­du­leuse gloire du succès, par l’ex­plo­sion de ce qui tenait la société, famille, commu­nau­ta­risme du village ou du quar­tier, rapport à la nature, amour, etc.

Nous avons le besoin vital de l’ex­pres­sion méta­phy­sique scien­tiste. Nous avons besoin de connaitre, de critiquer et d’in­fluen­cer ce credo qui, tout compte fait gouverne ce monde. C’est une ques­tion de justesse, c’est une ques­tion de pouvoir, c’est une ques­tion d’en­tente entre hommes.

Croire

Le discours théiste, ensei­gne­ment au long cours s’il en est, veut mener celui qui l’écoute à adop­ter certaines concep­tions qui sont données pour vraies ou abso­lues, mais sans qu’au­cune démons­tra­tion ne puisse jamais rien prou­ver. Le nom de Dieu désigne ainsi un être à jamais inaperçu, un être entiè­re­ment postulé qui sert de base au raison­ne­ment.

Il y a 100% de chance que quelque chose nous dépasse. Voilà l’es­sence de ma propre foi. Il y a 100% de chances que ce quelque chose qui nous dépasse soit ce que dési­gnent les diffé­rents noms du divin. Voilà l’es­sence de la foi reli­gieuse.

Dieu existe dans l’es­prit de l’homme pour mettre quelque chose sur le mystère de l’exis­tence. L’évoquer comme une entité du réel, c’est pouvoir oublier le gouffre, c’est donner sa confiance à une construc­tion première qui vient recou­vrir l’an­goisse d’un voile rassu­rant. En tant que tel le divin est une croyance fonc­tion­nelle, respec­table et utile. Ce ne sont pas les excès des reli­gions qui chan­ge­ront quoi que ce soit à ce fait cultu­rel haute­ment évolu­tif de l’hu­ma­nité, pas plus que la bombe atomique ne chan­gera l’ef­fec­ti­vité de la ratio­na­lité. Ne confon­dons pas la chose et l’usage de la chose.

Le fonc­tion­ne­ment du fait reli­gieux n’a rien d’ar­bi­traire, c’est un fonc­tion­ne­ment univer­sel. La science procède préci­sé­ment de la même manière : elle postule des faits invé­ri­fiables mais cohé­rents et construit par-dessus. Contrai­re­ment au reli­gieux qui n’est pas obli­ga­toi­re­ment tenu au doute, c’est une vraie faiblesse, le scien­ti­fique ne devrait jamais oublier la préca­rité intrin­sèque et perma­nente d’un postu­lat, il devrait savoir dès le début de la forma­tion que postu­lat est syno­nyme de croyance. Nous n’en sommes pas là, l’épis­té­mo­lo­gie, quand il y en a au cursus, est un sujet bâclé par tous les étudiants déjà hyper char­gés. C’est fina­le­ment la même faiblesse de l’ab­sence de doute, que l’on rencontre chez le scien­ti­fique et chez le reli­gieux, marque invi­sible qui mène évidem­ment au rigo­risme quand elle est géné­ra­li­sée, silen­cieu­se­ment ou non, à l’égré­gore.

La philo­so­phie est profon­dé­ment entre­la­cée avec la reli­gion comme le sont deux brins d’ADN. Elles se sont long­temps nour­ries l’une l’autre, car elles sont essen­tiel­le­ment de même nature méta­phy­sique. La diffé­rence clé de la philo­so­phie, c’est mis en place la véri­fi­ca­tion systé­ma­tique des règles devant les faits et par consé­quent l’in­ter­dic­tion rigou­reuse de la contra­dic­tion. La philo­so­phie a patiem­ment conquis ce que la reli­gion utili­sait déjà sans en maîtri­ser la puis­sance : la causa­lité. Le bascu­le­ment vers la ratio­na­lité qu’à produit la philo­so­phie était déjà compris en germe dans la reli­gion. Ainsi est née la science contem­po­raine, comme un accrois­se­ment sur la reli­gion, un pas géant rendu possible par le pas géant qui le précède.

Le problème de l’époque se retrouve entiè­re­ment dans l’ap­pré­hen­sion causa­liste de la formule logique de consé­quence : « si… alors… ». La condi­tion « si » des prémisses élémen­taires est rempla­cée, tout comme dans la reli­gion, par la certi­tude sans appui autre que l’ha­bi­tude ou l’évi­te­ment de l’os­tra­cisme. La formule causa­liste s’ex­prime désor­mais là où commence la science : « puisque… alors… » où la prémisse n’est plus mise en doute, ne peut plus être mise en doute à cause de l’édi­fice qu’elle supporte, reniant les véri­tables assises méta­phy­siques que sont le flou, l’in­cer­ti­tude première et le doute. C’est un problème d’ou­bli du réel qui n’a abso­lu­ment rien de conscien­cieux où nous ramène notre nature assoif­fée de sécu­rité et de récon­fort.

Tout dans la nature animée ou inani­mée se comporte suivant des règles, mais ces règles ne nous sont pas toujours connues. C’est en vertu de certaines lois que la pluie tombe et que les animaux se déplacent. Le monde entier n’est propre­ment qu’un vaste ensemble de phéno­mènes régu­liers ; en sorte que rien, abso­lu­ment rien, ne se fait sans raison. Il n’y a par consé­quent point d’irré­gu­la­ri­tés à propre­ment parler ; quand nous en croyons trou­ver, nous pouvons dire seule­ment que les lois qui régissent les phéno­mènes nous sont incon­nues.
Kant – Logique – Page 5

Ce que j’ai stabi­loté est l’hy­po­thèse de la logique. Celle-ci fonc­tionne pour ce que veut en faire la science, pas de problème de ce côté-là, elle taille à la science un terri­toire légi­time, net et tran­ché où la croyance n’a pas sa place. Mais la sèche formu­la­tion kantienne comporte l’as­pect hégé­mo­nique sous-jacent clas­sique en philo­so­phie depuis Parmé­nide, aspect qui ne remet pas en cause ce qu’elle isole, la logique, mais ce que les logi­ciens persistent à nier, le reste de l’iso­lat qui est impli­ci­te­ment et conti­nu­ment consi­déré par eux indif­fé­rem­ment soit comme du déchet soit comme inexis­tant, ce qui ne manque pas de sel. Le para­digme de la raison qu’é­pure inlas­sa­ble­ment toute la philo­so­phie est conçu par elle comme venant défi­ni­ti­ve­ment et tota­le­ment rempla­cer un fonc­tion­ne­ment anté­rieur erroné. Cette construc­tion ne tient ni dans le monde réel ni dans le cadre analo­gique tracé dans ce blogue. La règle n’est pas plus la cause des phéno­mènes que la carte n’est le terri­toire. La règle est un outil descrip­tif qui n’existe qu’en pensée et dont le réel n’a aucun besoin pour exis­ter, même si la posses­sion de la règle permet d’in­fluer sur le réel. La règle est rela­tive alors que Kant nous la montre comme un absolu, tout comme le font Hegel ou Platon. Une évolu­tion diffé­rente de l’hu­main, une autre forme de pensée que l’hu­maine, abou­ti­raient à des règles diffé­rentes. Et comment, philo­sophe, oublier que notre propre évolu­tion nous a déjà fait rempla­cer des règles « abso­lues » par d’autres ? Comment oublier que la science évolue, comment oublier que ses para­digmes peuvent chan­ger ?

Deux para­digmes – au moins – s’af­frontent. Le plus ancien, le reli­gieux, qui s’oc­cupe de l’amour d’abord et le scien­ti­fique qui s’oc­cupe de logique. Le chan­ge­ment de para­digme qu’at­tend notre monde n’est pas la victoire défi­ni­tive de l’un sur l’autre. Ce qu’at­tend notre monde c’est la recon­nais­sance des deux para­digmes, par les deux commu­nau­tés de croyants qui y sont atta­chées.

Et je cite effec­ti­ve­ment la commu­nauté des scien­ti­fiques comme une commu­nauté de croyants. Le monde chan­gera lorsque cette commu­nauté pren­dra ouver­te­ment conscience de ce fait indu­bi­table et qu’elle le mettra dans des textes consen­suels, à teneur méta­phy­sique ou idéo­lo­gique, qui restent à écrire (ce que croient les scien­ti­fiques) : si quelque chose nous dépasse dans le monde, alors aucune certi­tude abso­lue n’est possible. Affir­mer que tout a une cause revient à croire que toutes les causes, y compris « la » cause au départ de toutes les causes, seront un jour trou­vées par l’homme. Pourquoi pas. Mais il faut prendre les choses pour ce qu’elles sont, il s’agit là d’une croyance qui bien souvent est assé­née sous couvert de scien­ti­fi­cité, ce qui est très déran­geant.

Si la science est l’af­faire de tous, la croyance est affaire person­nelle. Quand la croyance est parta­gée par un grand nombre, alors de ce partage naissent les concepts et les rituels qui font une reli­gion. Cette reli­gion, au sens de relier, fait partie de ce que la commu­nauté scien­ti­fique ridi­cu­lise chez les autres et ignore pour elle-même, sans avoir conscience qu’elle y est irré­mé­dia­ble­ment juchée.

Tout le problème est exprimé dans ce constat : la reli­gion des scien­ti­fiques n’est inscrite nulle part, elle n’est même jamais nommée, si ce n’est sous le terme priva­tif d’athéisme, c’est à dire se défi­nis­sant unique­ment sur la néga­tion de ce qui n’est pas elle. Nietzsche quali­fiait à juste titre ce compor­te­ment de nihi­lisme.

Oubli de l’Etre

Heideg­ger n’a rien contre la tech­nique ni contre le plato­nisme, il estime seule­ment que la construc­tion d’un être qui serait soumis d’em­blée à une visée comp­table de ratio­na­li­sa­tion vient peut être obnu­bi­ler l’ex­pé­rience du don gratuit de l’être, qui éclôt sans pourquoi.

De là l’idée heideg­gé­rienne – très simple au fond – d’un oubli de l’être qui aurait marqué toute la méta­phy­sique. Il ne s’agit pas d’une thèse sur un thème qui aurait été malen­con­treu­se­ment oublié dans les manuels de méta­phy­sique, mais d’un juge­ment porté sur la concep­tion tech­ni­cienne de l’être qui ensor­celle autant notre temps. Concep­tion qui a ses raisons et ses succès, mais qui tend à réduire l’être à l’ordre du produc­tible, camou­flant ainsi l’in­dis­po­ni­bi­lité plus ancienne de l’être.
Heideg­ger L’énigme de l’être pages 66–67

Le malaise de certains inter­prètes et lecteurs de Heideg­ger devant la figure du Quadri­parti, pour ne rien dire de l’in­dif­fé­rence des autres, témoigne de l’in­ca­pa­cité de la raison moderne d’ac­cueillir une parole qui échappe à toutes ses caté­go­ries.
Jean François Mattéi – L’ordre du monde page 198

La pensée ne commen­cera que lorsque nous aurons appris que cette chose tant magni­fiée depuis des siècles, la raison, est la contra­dic­tion la plus achar­née de la pensée.
Idem, page 191

Je postule que, par pensée, Heideg­ger veut dire sagesse. C’est le seul moyen de voir clair, même si pour Platon, pensée s’ac­corde à raison et intel­lect à sagesse.

Degrés de connais­sance – Platon

Les réali­tés intel­li­gibles sont elles l’objet de la pensée et de l’in­tel­lect, et Platon les désigne par le nom de science.
Platon – Degrés de connais­sance – Wiki­pé­dia

Le trait alpha n’est pas donné. Alpha et bêta semblent se mélan­ger. Ratio­na­lité est syno­nyme d’in­tel­lect :

Connais­sance ration­nelle discur­sive (Dianoia)
Connais­sance ration­nelle intui­tive (Noûs))
Platon – Analo­gie de la ligne – Wiki­pé­dia

Les assi­gna­tions de la discur­si­vité et de l’in­tui­ti­vité semblent incom­pa­tibles avec notre modèle des 4 pensées.

Mais le trait bêta est sans équi­voque :

Trait bêta

Intel­li­gible
Sensible
Science
Opinion

L’as­so­cia­tion de la science et de l’opi­nion en bêta est assez pertur­bante pour moi, je la voyais en alpha.

la conjec­ture (εἰκασία eikasía) porte sur les images et les illu­sions ; la foi ((πίστις pístis) porte sur les êtres vivants et les objets fabriqués ; la pensée ((διάνοια diánoia) porte sur les notions et les nombres ; l’in­tel­lect ((νόησις nóêsis) porte sur les Formes.
Platon – Degrés de connais­sance – Wiki­pé­dia

Typo­lo­gie

Pensée
Conjec­ture
Intel­lect
Foi
Diánoia
Eikasía
Nóêsis
Pistis
Raison
Volonté
Sagesse
Désir

Portée

Les notions et les nombres
Les images et les illu­sions
Les Formes
Les êtres vivants et les objets fabriqués
Finale
Effi­ciente
Formelle
Maté­rielle

La typo­lo­gie sa portée sont très bonnes, elles nous mettent sur la piste de ce qui leur suivra, dont Aris­tote.

Le proton-pseu­dos

Le proton-pseu­dos, c’est l’er­reur initiale, même infime, dont les retom­bées sont multi­pliées expo­nen­tiel­le­ment avec le temps.

L’ex­pres­sion sert à Freud pour expliquer l’ori­gine de l’hys­té­rie.

Ici, elle nous ramène en parti­cu­lier à dési­gner l’idéa­lisme plato­ni­cien.

Dasein

Le mot alle­mand Dasein [ˈd̥ɑː­za͡ɪ̯n], litté­ra­le­ment « être-là », est l’in­fi­ni­tif substan­tivé du verbe alle­mand dasein, qui signi­fie, dans la tradi­tion philo­so­phique, « être présent ». Comme substan­tif, le mot apparu au XVIIe siècle avec le sens de « présence », est employé depuis le XVIIIe siècle dans sa traduc­tion française en substi­tu­tion au terme « exis­tence ». Avec le philo­sophe alle­mand Martin Heideg­ger, ce terme est devenu, à partir de son maître ouvrage Être et Temps (Sein und Zeit), un concept majeur au moyen duquel l’au­teur cherche à distin­guer la manière d’être spéci­fique de l’être humain, qui n’est pas celle des choses ordi­naires. Ainsi le Dasein est cet être parti­cu­lier et para­doxal, à qui son propre être importe, qui est confronté à la possi­bi­lité constante de sa mort, en a conscience, vit en rela­tion étroite avec ses semblables et qui, tout en étant enfermé dans sa soli­tude, est toujours « au monde », auprès des choses.

Être et étant

C’est telle­ment compliqué à comprendre dans les textes et les commen­taires des textes. Le condensé Wiki­pé­dia est toute­fois très inté­res­sant pour nous.

L’étant est un concept philo­so­phique dési­gnant ce qui est. Ce concept permet de distin­guer, l’ex­pé­rience phéno­mé­no­lo­gique vécue par tout humain en contact avec le monde dans lequel il est immergé, du concept méta­phy­sique du philo­sophe qui s’in­ter­roge sur l’es­sence de cette présence. Cette distinc­tion met en évidence la diffé­rence entre le concept de l’étant comme ce qui se montre et le concept d’être comme ce qui est la vérité de l’étant, ce qui le fonde et permet sa présence même.

Étant
Être
Concept
Expé­rience
Méta­phy­sique
Phéno­mé­no­lo­gie

La signa­ture que l’on peut tirer de la formu­la­tion est forte. Le lien avec le trait bêta est forte­ment suggéré par l’adop­tion de la défi­ni­tion entre expé­rience et concept.

Phéno­mé­no­lo­gie se propose comme alter­na­tive à la Psycho­lo­gie dans le clas­se­ment de Durkheim. Ce n’est pas si évident en rela­tion avec les sciences décou­lant de l’être et l’étant, l’on­to­lo­gie et l’on­tique.

Étant
Être
Ce qui se montre
La vérité de l’étant

On voit tout de suite un problème de lisi­bi­lité. L’Être est défini avec l’Étant en réfé­rence. Cela implique que l’Étant est premier. La signa­ture implique le contraire. J’y vois la marque de fabrique de l’idéa­lisme plato­ni­cien qui implique cette tenta­tive de retour­ne­ment du réel comme produc­tion de l’idéel, qui rend l’idéel, selon Platon, et toute la philo­so­phie après lui, plus réel que le réel.

C’est un serpent qui se mord la queue,

L’étant est second, mais il appa­raît en réfé­rence de ce qui est premier, le lais­sant hors de la nomen­cla­ture. Beau­coup de choses sont dites ici, des choix de Heideg­ger et de l’état du monde.

Concept méta­phy­sique du philo­sophe qui s’in­­ter­­roge sur l’es­­sence de cette présence
L’ex­­pé­­rience phéno­­mé­­no­­lo­­gique vécue par tout humain en contact avec le monde dans lequel il est immergé


Si l’on signe, si l’on est croyant, tout change. Les objets de Heideg­ger sont parfai­te­ment opérants des qu’on les connecte avec les autres.

Une telle signa­ture nous auto­rise des connexions. A commen­cer par la philo­so­phie de termi­nale.

4 dyades
Rela­tif Trans­cen­dant
Absolu Immanent

le néant n’est pas un étant

Étant
Être
Sujet
Objet
Arti­fi­ciel
Natu­rel

Idéa­lisme plato­ni­cien

L’idéa­lisme plato­ni­cien implique une tenta­tive de retour­ne­ment du réel vu alors comme étant un produit de l’idéel. C’est la théo­rie qui précè­de­rait la pratique. Platon déclare que l’idéel est plus réel que le réel. La philo­so­phie croit dans cette inver­sion et s’ac­croît dange­reu­se­ment sur elle, et toute la science avec elle.

Idéel
Réel
Le vrai réel
Produit par l’idéel

Trait bêta

Les réali­tés intel­li­gibles
Les choses sensibles
Idéel
Réel

Cette formu­la­tion du trait bêta des Degrés de connais­sance est d’une impor­tance qu’on ne peut mini­mi­ser. Ici réside l’in­ver­sion plato­ni­cienne, son idéa­lisme :

contrai­re­ment aux choses sensibles, dont la réalité est chan­geante, les Formes sont l’unique et vraie réalité. Cette réalité est dési­gnée par Platon en ajou­tant des adjec­tifs : réalité vraie, par exemple, ou par des compa­ra­tifs : « ce qu’il y a de plus réel », afin de la distin­guer de la réalité sensible, qui n’est cepen­dant réelle qu’en tant qu’elle possède un certain rapport à la réalité authen­tique.

Je ne suis pas le seul à quali­fier l’idéa­lisme plato­ni­cien de proton-pseu­dos de la pensée grecque, puis euro­péenne, puis occi­den­tale et désor­mais mondia­liste.

L’er­reur de Platon, comme celle de très grands penseurs après lui, nota­ble­ment comme Hegel, c’est d’être beau­coup trop intel­li­gents. Quand les penseurs avant eux cher­chaient à expri­mer les crois­sances natu­relles, eux en étaient déjà à l’étape suivante, qui implique le plus grand mystère, encore plus que celui de la genèse, puisque c’est à chaque fois elle qui commence à nouveau, mais depuis la fin du cycle précé­dent.

Mais ils ne savaient pas qu’ils faisaient ce geste de boucler la boucle, ils ont pensé avoir dépassé encore, encore trans­cendé le trans­cen­dant, alors qu’ils faisaient le contraire, ils faisaient un acte de pensée en retour vers l’im­ma­nence des choses. Ce sont des géants qui ont ouvert par la logique des portes sur des terres que l’on ne peut distin­guer qu’a­vec une compré­hen­sion alogique. C’est là que l’on retrouve les méfiants et croyants Nietzsche et Heideg­ger, respec­ti­ve­ment le Héra­clite et le Platon de notre époque, qui ont cher­ché l’ordre anté­rieur des choses.

Jean François Mattéi – L’ordre du monde

On peut dire que dans ce livre Mattéi se laisse aller à moins de rete­nue que d’ha­bi­tude. La quatrième de couver­ture donne une idée de cela :

L’ordre du monde : l’ex­pres­sion paraî­tra suspecte à ceux qui ont choisi le vide du concept contre la pléni­tude du sens et refusent à la raison moderne le droit de recon­naître sa quadruple racine pour édifier une éthique à la mesure de l’être.

C’est de la colère.

On peut bien, aujourd’­hui, oublier l’injonc­tion carté­sienne de chan­ger plutôt ses désirs que l’ordre du monde, et se satis­faire, Ciel et Terre abolis, d’une raison qui achève son empire sur un désert. C’est toujours le monde, fina­le­ment, qui a le dernier mot.

Et du pessi­misme, de l’im­puis­sance qui fait écho au désar­roi de Heideg­ger face à l’in­com­pré­hen­sion.

C’est encore un ouvrage clé pour moi. Celui ci m’a montré qu’une colère sourd de cette lignée d’éru­dits. Elle me les rend plus réels. Le contenu de ce livre revient inlas­sa­ble­ment sur le problème de l’ou­bli de l’Être, conju­gué en « Oubli de l’ou­bli de l’Être » par le contem­po­rain qui semble admi­rer Heideg­ger, mais l’en­ferme dans une parfaite incom­pré­hen­sion de son œuvre.

J’ai enfin vrai­ment compris par ce livre que j’avais des frères en pensée, sorte de consé­cra­tion de 20 années de recherches. J’ai aussi pu oser appo­ser la signa­ture de l’Ordre et du Désordre, notion au centre du monde depuis Zoroastre, fonda­teur du premier des mono­théismes.

J’em­prunte désor­mais l’ex­pres­sion « L’ordre du monde » en fondant sa légi­ti­mité sur ce livre, œuvre d’un ami en pensée.